Jésus-Christ, un mythe ?

SI beaucoup de nos contemporains ne croient pas à la divinité de Jésus-Christ, peu d'entre eux admettent son origine mythique. Le monde semble donc se diviser en ceux qui acceptent l'évangile comme un livre plus ou moins historique et ceux qui s'arrangent avec un humain quelque peu prophète ou agitateur, à partir duquel une tradition aurait brodé.

Peu d'athées ou d'agnostiques semblent penser que les évangiles sont une création littéraire d'alpha à oméga, par ignorance historique ou manque d'intérêt. Des militants laïques peuvent craindre la polémique, la rupture de dialogue avec des chrétiens modernes prêts à faire des concessions à la laïcité. Des catholiques de culture peuvent, pour des raisons sentimentales, tenter de sauver l'historicité d'une personne venue prêcher la concorde et l'amour du prochain. Ceux-ci seront peut-être déçus en lisant les évangiles par eux-mêmes, et non les extraits soigneusement choisis pour eux.

C'est pourtant à ceux qui affirment un fait que revient la charge de l'établir : les croyants devraient donc tenter d'étayer l'existence historique de Jésus-Christ. Mais la tradition et un millénaire et demi de religion d'État semblent avoir un poids tel qu'il semble que ce soit aux critiques de se justifier, ce qui peut expliquer la prudence de beaucoup de non-croyants, qui devraient par la suite affronter l'armée des «spécialistes», la plupart ecclésiastiques ou chercheurs d'universités chrétiennes, rarement incroyants.

Et pourtant, les problèmes qu'amène la thèse d'un Jésus historique sont nombreux…

Existe-t-il des preuves de l'existence d'un Jésus de Nazareth ?

Les traces historiques de Jésus sont pour le moins fugaces et se réduisent finalement aux évangiles eux-mêmes, à l'exception de quelques versions d'ouvrages de presque contemporains non chrétiens, comme Flavius Josèphe — ce qui fait penser à des insertions ultérieures («interpolations»). Les contemporains sont en fait restés muets quant au Sauveur. Des auteurs plus tardifs, comme Pline le Jeune, parlent parfois des chrétiens et de leur Christ mais pas de Jésus comme un personnage historique.

«Censure impériale !» entend-on parfois, comme si le pouvoir romain avait jamais caché le sort qu'il réservait aux agitateurs… Les séditions et leur répression sont dûment commentées par les chroniqueurs de l'époque : on peut difficilement y voir une cachotterie du pouvoir romain.

Il est par ailleurs difficile de faire valoir l'«évidence» de la tradition multiséculaire du christianisme, témoins l'existence problématique d'Homère, la vie improbable de la papesse Jeanne ou purement légendaire de Guillaume Tell. Une fois le christianisme reconnu religion d'État, l'Église a réécrit l'histoire à sa guise, effaçant par ailleurs les écrits discordants : le Discours véritable (v178) de Celse (IIe) a été «perdu» et n'est plus connu qu'à travers le Contre Celse (v248) d'Origène (185-253).

L'inconsistance du récit

Ce qui ne plaide pas pour la thèse d'un Jésus historique, c'est que beaucoup d'actes et paroles de Jésus se trouvent déjà textuellement dans l'«Ancien Testament» comme s'il importait surtout que les évangiles accomplissent les prophéties : Jean affirme que «tout était achevé pour que l'Écriture fût parfaitement accomplie» (Jn 19:28) avant que Jésus ne rende son dernier soupir par un théâtral «C'est achevé» (Jn 19:30). Certains auteurs critiques en concluent que les évangiles se sont constitués autour d'extraits de l'«Ancien Testament» prophétisant l'avènement du Messie.

D'autre part, une critique interne du Nouveau Testament montre les nombreuses contradictions qui s'y trouvent, souvent d'un évangile à l'autre, parfois dans le même : Jésus fut-il enlevé au Ciel (Lc 24:51, et Mc 16:19 dans sa «finale longue») alors que deux évangélistes oublient de le mentionner (Mt 28:19-20, Jn 21:24-25) ? Jésus doit-il revenir bientôt (Mt 10:23, 1Co 7:31) ou les apôtres auront-ils le temps de parcourir le monde (Mt 28:19-20) ? Les corps des saints sortiront-ils du tombeau comme chez Matthieu (Mt 27:52) ou le séjour de l'âme est le Ciel (Mt 22:30, Mc 10:21, Lc 6:23, Jn 3:13) ?

Quelques érudits, tels que David Strauss (1808-1874) en 1853, Ernest Renan (1823-1892) en 1863, Albert Schweitzer (1875-1965) en 1906 et 1913 ou François Mauriac (1885-1970) en 1937, ont tenté d'écrire une histoire de Jésus à partir des évangiles. Vous verrez dans cette synopse que c'est impossible tant les contradictions sont nombreuses : il est alors nécessaires de choisir entre plusieurs versions. Par exemple, deux évangiles racontent la naissance du sauveur de façon plus que contradictoire :

Tout le monde ne s'accorde pas sur l'existence d'un Nazareth il y a 2 000 ans. Dans les traductions modernes, Jésus est parfois appelé le Nazarénien (Marc 1:24 et 10:47 ; Luc 4:34, 24:19), ou le Nazôréen (Matthieu 26:71 ; Luc 18:37 ; en Jean 18:5,7, 19:19  ; Actes 2:22, 3:6, 4:10, 6:14, 22:8, 26:9), «consacré à Dieu», un statut qui a fini par être compris comme une origine.

De nombreux épisodes ne sont en outre connus que par un seul évangile ; parmi les plus connus :

…sans compter de nombreux prêches et paraboles moins célèbres de Matthieu, Luc et surtout Jean.

Une lecture plus chronologique du «Nouveau Testament» (Apocalypse, épîtres, évangiles) montre le passage progressif d'un Christ purement céleste (Apocalypse) puis descendu sur terre pour y mourir et ressusciter (épîtres de Paul), à un Jésus de Nazareth ayant prêché (évangiles), puis étant préalablement né (Matthieu, Luc et l'«apocryphe» Protévangile de Jacques). En commençant le Nouveau testament par les évangiles, le lecteur n'a plus à se poser la question d'un Jésus né de parents terrestres lorsqu'il aborde les épîtres et l'Apocalypse.

Il existait des modèles

En complément des prophéties appartenant à la littérature juive, l'étude comparée des religions montre que l'idée d'un Christ était dans l'air du temps il y a plus de deux mille ans. Les conquêtes d'Alexandre le Grand ont dissous les États du moyen orient et par là même l'intérêt politique ; elles ont également dévalué les panthéons locaux et provoqué un brassage entre dieux conquérants et dieux locaux. Des dieux intermédiaires ont émergé, prêts à s'intéresser aux individus, à les guérir… ou à leur conférer l'immortalité : il s'agit des dieux des religions à mystères.

Aucun d'entre eux n'a vraiment été le prototype du Christ : les chrétiens ont beau jeu de critiquer les mythistes ayant un peu vite affirmé que le Christ était une copie d'Osiris, Attis ou Dyonisos ou que le christianisme n'est qu'une forme d'essénisme ou d'orphisme. Par définition, un syncrétisme emprunte çà et là les éléments utiles, comme nous l'avons vu pour le New-Age à la fin du XXe.

Certains de ces cultes ramenaient à la vie (Dionysos, Ishtar/Inanna), communiaient par le pain et le vin (cultes de Mithra et d'Osiris) ; leur messie naissait un 25 décembre (Mithra/Sol Invictus, Dionysos), dans une grotte (Tammouz/Adonis, Dionysos, Hermès), pouvaient d'abord être reconnus et adorés par des pasteurs (Mithra), mouraient injustement (Osiris), ressuscitaient (Osiris, Attis, Ishtar/Inanna) au printemps (Perséphone, Tammouz/Adonis). Enfin, certains de ces cultes possédaient une structure hiérarchisée et pouvaient servir les intérêts de l'empereur (Mithra/Sol Invictus), quand ce dieu n'étaient pas simplement imposé par lui, comme Elagabal par Héliogabal, surnom du pseudo-antonin Marcus Aurelius Antoninus (203-222, empereur en 218).

Dans ce monde hellénisé, un mythe comme celui de Prométhée met en scène un héros souffrant pour avoir apporté la connaissance aux humains ; l'Apologie de Socrate et le Phédon montrent un homme condamné «pour impiété» alors qu'il défendait la véritable morale, et qui plutôt que de se sauver accepte de boire la «coupe» (de ciguë), acceptant ainsi la mort par asphyxie… ce qui constitue le véritable supplice de la croix.

Par ailleurs, la figure du pythagoricien Apollonios de Tyane (16-97) ressemble par ses miracles à celle attribuée à Jésus de Nazareth, mais sa vie étant principalement connue par un ouvrage de Philostrate dans la première moitié du IIIe, il est difficile de savoir dans quelle mesure l'histoire aurait emprunté aux évangiles. Sa vie elle-même est assez différente, parce qu'Appolonios aurait traversé le monde connu d'Espagne en Inde et rencontré les plus grands.

Pourquoi est-ce le christianisme qui s'est imposé ?

Le christianisme a néanmoins triomphé et il est permis de se demander pourquoi ce culte et pas un autre. Une réponse prosaïque serait qu'il fut choisi par l'empereur Constantin, probablement pour sa structure plus hiérarchisée que celle des dieux de la Cité. D'autres cultes hiérarchisés ou structurés existaient, mais Mithra n'intéressait que les hommes, surtout militaires ou fonctionnaires, Adonis et Isis s'adressaient davantage aux femmes… Le Juste Souffrant avait le suffrage des moins favorisés : femmes, prolétaires, esclaves… à savoir les plus nombreux.

Cette religion gardait également des côtés qui pouvaient marquer certains païens, revenant par exemple à l'immolation d'un fils, pourtant abolie par la religion israëlite (Genèse, 22:1-13), ainsi qu'un certain polythéisme que l'on trouve dans la trinité, le culte de Marie, qui remplaçait la dévotion à Isis, et des saints comme celle à des dieux mineurs.

Il est également possible que l'histoire d'un dieu ayant vécu quelques années sur Terre séduisait : le christianisme semble la seule religion du salut ayant fait de son sauveur une incarnation physique et surtout humaine, par l'influence du messianisme juif, attente d'un sauveur promis par les prophètes. Son ascendance hébraïque lui aura également apporté l'idée d'un Dieu-le-père jaloux : une fois opportunément reconnue en 325 par Constantin (272-337, empereur en 306) puis imposée en 380 comme religion d'État par Théodose (347-395, empereur en 379), ce culte n'a pas tardé à persécuter les autres croyances.

Bibliographie sommaire

Les auteurs ci-dessous sont repris sur la page consacrées à plus de 200 auteurs ayant contribué à la théologie critique et à la thèse mythiste, ainsi qu'à certains de ses détracteurs.

Nicolas Bourgeois

2017 Une invention nommée Jésus - site, CreateSpace Independent Publishing Platform - seconde édition revue et corrigée, 9 août 2017 - 222 pages

1° édition 2008, coll. opium du peuple, éd. aden, 215p - épuisée

L'auteur illustre les nombreux parallèles entre la bible juive et les évangiles, démontrant qu'il n'était nullement besoin de faits pour écrire l'histoire du messie, la nécessité théologique suffisant à remplir les évangiles de détails édifiants : L'existence de Jésus est une affirmation de foi et non d'histoire (sous-titre de l'ouvrage). La réédition complète deux points que l'auteur estime avoir négligés dans la première édition : la présence de Jésus dans le Talmud et Jacques, «frère de Jésus».

L'originalité de cet ouvrage est de ne pas reprendre les arguments des auteurs sceptiques, mais au contraire de travailler à partir des textes bibliques et des arguments des exégètes chrétiens. Il s'attache par ailleurs à démonter le discours de ces spécialistes, qui n'admettent qu'eux-mêmes à la table de discussion et pratiquent l'auto-persuasion en répétant que personne de sérieux et informé ne peut actuellement remettre en cause l'historicité de Jésus-Christ. Ce wishful thinking est à l'œuvre sur Wikipédia : voir la page consacrée à ce sujet.

Vous verrez ci-après qu'au moins deux prêtres du XXe ont contribué au mouvement mythiste : Prosper Alfaric (en 1932, 1947 et 1954) et Georges Las Vergnas (en 1958). Revenus à la vie civile, ont-ils cessé d'être spécialistes ?

Marc Hallet

2013 Les origines mythiques du christianisme, publication à compte d'auteur, 235p, édition revue et augmentée (première édition, 2003) - PDF

Cet ouvrage reprend synthétiquement l'ensemble de la problématique, en commençant par un important rappel de thèmes majeurs de la bible juive. Enfin, spécialiste des croyances au paranormal, l'auteur parle notammment de l'omniprésente astrologie, à la source de bien des croyances de l'antiquité, et donc de la bible juive comme celle du nouveau testament. Il s'agit donc d'une bonne entrée en matière, disponible sur ce site en PDF.

Patrick Boistier

2012 Jésus-Christ & consorts : dernières nouvelles, Éditions du Net

Wikipedia martelant sans argumenter que la théorie mythiste est depuis longtemps réfutée, il est bon qu'un ouvrage fasse le point.

2008 La controverse des origines. Critique du Nouveau Testament, Éd. P. Boister, 212p.

Reprise en profondeur de la critique des sources du christianisme et des preuves généralement alléguées à l'historicité de Jésus dit le Christ.

2000 Jésus, anatomie d'un mythe, À l'Orient, Coll. Entre l'équerre et le compas, ISBN 2912591147

Autres ouvrages de l'auteur.

Timothy Freke and Peter Gandy

2007 Le christianisme originel proviendrait-il d'une spiritualité antique et universelle ?, éditions Aléthèia

Original : The Jesus Mysteries. Was the original Jesus a pagan god ?, Harper Collins, 1999 (paperback : ed. Element, 2003)

Ce livre insiste sur les ressemblances entre les premiers rites chrétiens, gestes, miracles et paroles de Jésus, et les principales religions à mystères qui lui préexistaient, très répandues à partir de l'époque hellénistique. Naissance virginale un 25 décembre, baptême, prédication, communion par le pain et le vin, crucifixion, résurrection… étaient déjà attribués à des dieux sauveurs bien avant notre ère. Il s'agit donc d'un ouvrage typique de la thèse comparatiste.

Prosper Alfaric

2005 Jésus a-t-il existé ? et autres textes, CODA

Réédition de textes (notamment des Cahiers du Cercle Ernest Renan) et conférences de Prosper Alfaric (1876-1955), préfacée par Michel Onfray. C'est surtout la deuxième partie du livre qui est en rapport avec le mythisme. Le chapitre I-2 montre les origines grandement esséniennes du christianisme, opinion courante suite à la découverte des manuscrits de Qumran, révisée depuis mais rejetées sans beaucoup d'argumentation par les «spécialistes» chrétiens.

  1. Les origines du christianisme - 1. Les origines sociales du christianisme - 2. La vraie genèse de l'Église
  2. Le problème de Jésus - 1. Jésus a-t-il existé ? (1932) - 2. Comment s'est formé le mythe du Christ (1947) - 3. Le problème de Jésus (1954) - 4. À propos de la récente découverte de manuscrits palestiniens - 5. Simon, dit «Le Magicien»
  3. Le mythe de Marie - 1. Les origines du culte de Marie - 2. Comment se fait un dogme : courte histoire de l'Assomption
  4. L'Église - 1. Comment se faisaient autrefois les papes - 2. L'Excommunication, son origine, son histoire - 3. Comment se crée un lieu saint : Fatima
  5. Les manuscrits de la Mer Morte (inédit)
  6. Dieu existe-t-il ?

Guy Fau

1964 La fable de Jésus Christ, Paris, Les Éditions de l'Union Rationaliste, 372p.

Pour cet auteur, qui se base notamment sur les manuscrits de Qumran, l'ascendance essénienne du christianisme est patente, mais au travers d'une communauté ayant émigré à Antioche et s'étant donc frottée à l'hellénisme, à la gnose et aux cultes à mystères. Il s'agit donc d'une retouche à l'hypothèse essénienne.

Georges Las Vergnas - page

1958 Jésus-Christ a-t-il existé ?, chez l'auteur (rééd. La Ruche ouvrière en 1966).

C'est l'œuvre d'un prêtre né en 1911 et défroqué à la suite de la prise de conscience des incohérences du nouveau testament. Les écrits des Pères de l'Église sont également évalués, ce qui permet de constater que les évangiles, inconnus des premiers ou connus sous une forme bien différente, sont nettement postérieurs aux épîtres de Paul et à l'Apocalypse de Jean, et n'ont cessé d'être réécrits. De ce fait, si on s'en tient aux premiers textes, le christianisme apparaît bien différent.

Charles Hainchelin

1935 «Jésus a-t-il existé ? (Le mythe de Jésus)», Études marxistes n° 5, 1990-05-20. Disponible sur cette page.

Internet

Articles connexes

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