Jésus dans l’histoire

AU premier siècle de notre ère, de nombreux érudits ont dû entendre parler de Jésus, ou du Christ, ne serait-ce que par les persécutions des premiers chrétiens selon la martyriologie. Beaucoup semblent néanmoins muets à l’égard de la «plus grande religion du monde» et de son premier martyr.

«Censure!» s’indignent certains chrétiens, inquiets de ce silence. Les Romains n’avaient pourtant aucune honte à réprimer les ennemis de Rome ni à le faire savoir. Et, comme le rappelle Georges Las Vergnas, Josèphe «intitule insolemment son livre Guerre des Juifs contre les Romains» (Jésus a-t-il existé?, 1958, chapitre «Les sources»).

En revanche, le Discours véritable contre les chrétiens (v178) de Celse n’est connu qu’à partir du Contre Celse (248), réponse d’Origène d’Alexandrie ; l’ouvrage de Porphyre Contre les chrétiens (ap271) ne subsiste qu’à travers des réfutations postérieures à sa censure par Constantin (272-337, officiellement empereur en 310). Mais le temps est certainement la meilleure censure par le fait qu’un texte non recopié disparaît sous l’usure et la moisissure des manuscrits : circonstances exceptionnelles mises à part, il suffit qu’un manuscrit ne soit plus trouvé digne d’intérêt pour disparaître après quelques siècles, phénomène auquel s’ajoute bien sûr la censure chrétienne grandissante bien réelle, surtout à partir de Théodose (347-395, empereur en 379).

Plusieurs catalogues assez approximatifs d’auteurs antiques ignorant Jésus circulent sur Internet, comprenant certains d’entre eux qui n’avaient aucune raison d’en parler, parce que venant trop tôt, ou ne se préoccupant pas de questions religieuses ou sociales. Cette page s’en veut la recension critique. Il se peut que des empereurs avant Constantin ou des empereurs ou chrétiens à partir de celui-ci aient fait disparaître des textes, il se peut aussi que ces derniers en ait créé, mais la censure et la forgerie sont souvent des arts plus difficiles depuis le développement de la critique historique.

Le nombre ne fait pas tout et «L’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence» ne devrait jamais permettre d’affirmer quoi que ce soit.

Il est malheureusement impossible pour une seule personne de lire tout l’œuvre de tous ces auteurs pour être certain qu’ils n’ont rien écrit sur Jésus de Nazareth : veuillez donc me faire part de toute information circonstanciée qui rectifierait ce qui suit.

2023.12.19 – Page en cours d’écriture.

ÈC signifiera selon vos préférences «de l’ère commune» ou de l’«ère chrétienne», et AÈC «avant l’ère commune» ou «avant l’ère chrétienne». En effet, utiliser «avant Jésus-Christ» ou «après Jésus-Christ», AD (anno domini) est déjà prendre position sur le passage sur terre d’un Jésus de Nazareth, nazarénien ou nazôréen.

Velleius Paterculus (~v19–v31)

Selon les hypothèses concernant la naissance de Jésus (avant ~4 ou après 6) et de son âge à la crucifixion (de 33 à 50 ans), cet historien peut avoir connu ou non l’époque de la vie publique de Jésus. Toujours est-il qu’on perd sa trace ; ce proche de Séjan (~20-31) a peut-être été condamné en même temps que ce dernier. Son Histoire romaine, contenant des indications sur les provinces et colonies romaines et parlant abondamment d’Auguste et de Tibère (empereur de 14 à 37), ne parle pas de Jésus.

Valère Maxime (†37)

Cet auteur est également mort un peu tôt. Notons cependant que même sans connaître le message évangélique, les livres IV et V des Faits et Paroles Mémorables (24-31) parlent de modération, réconciliation, désintéressement, pauvreté, modestie, amour conjugal, amitié, libéralité, clémence et reconnaissance.

Aufidius Bassus

Historien ayant vécu sous Auguste et Tibère (mort en 37), il a écrit sur les guerres germaniques, peut-être une partie de son Histoire de Rome commençant à la mort de Jules César mais inachevée et perdue. Cela lui aurait été difficile de parler de Jésus.

Sénèque l’Ancien (~v54–v39)

Rhéteur, il a écrit sur l’histoire récente de Rome, dont un fragment est cité par l’auteur chrétien Lactance. Comme pour les précédents, c’était peut-être encore un peu tôt, sauf si la condamnation à mort d’un réformateur religieux ou d’un sédicieux en Palestine pouvait faire la une à Rome.

Pomponius Mela (†ap.42)

Géographe très complet du monde romain de l’époque. Compilant ce qui avait été écrit jusqu’alors, il n’était probablement pas à l’affût des nouveautés philosophiques ou religieuses.

Gamaliel l’Ancien (†v50)

Rabbin cité deux fois dans les Actes des apôtres, où il intervient en faveur des apôtres devant le sanhédrin (Actes 5:34-39), puis lorsque Paul se réclame de son enseignement (Actes 22:3). Dans le Roman pseudo-clémentin (Recognitiones, 1, 65), il s’est même converti. Il est également cité dans le Talmud (ou des homonymes) et enfin par Flavius Josèphe selon Wikipedia, sans préciser où : ne semblent s’y trouver qu’un Siméon fils de Gamaliel en Guerre des Juifs IV-III-9, peut-être le même que Simon fils de Gamaliel en Vie (XXXVIII et LX), et un Jésus fils de Gamaliel en Antiquités judaïques XX-IX-4 et 7.

Scribonius Largus (1–v50)

Médecin de Claude (41-54), il n’avait pas trop de probabilité de parler de Jésus dans son traité médical Compositions (v47).

Phèdre (~v15–v50)

Fabuliste grec ayant notamment adapté Ésope en latin, certaines de ses fables étaient également des satires sur des contemporains, dont Séjan qui le fit exiler. Aurait-il pu, au détour d’une fable, parler de Jésus, d’un Christ ou de chrétiens ?

Philon d’Alexandrie (~v20–v50)

Philon a écrit sur divers sujets très pratiques mais également sur la Bible, dans sa version grecque, la Septante). Il s’intéressait également aux communautés juives en consacrant quelques pages aux esséniens dans Apologia pro judaeis, («Apologie en faveur des juifs») et Quod omnis probus liber sit («Que tout homme bon est libre»), et aux thérapeutes dans De vita contemplativa («De la vie contemplative»).

Envoyé comme ambassadeur (hiver 39-40) devant Caligula pour défendre les juifs d’Alexandrie contre les émeutes tournées contre eux, il écrit Légation à Caius (après 41). C’est donc un homme important, passerelle entre mondes juif et romain. Il écrit également sur les agissements de Pilate contre les Juifs (Ambassade à Calligula).

Malgré son silence sur Jésus, beaucoup de Pères de l’Église (Ambroise de Milan, Basile de Césarée, Clément d’Alexandrie, Grégoire de Nysse, Origène…) le citent abondamment. Assez critique à l’égard de personnages de la Bible, il est probable qu’il aurait parlé de Jésus et du christianisme, en bien ou en mal, s’il en avait entendu parler. Il s’agit certainement d’un silence pesant.

Quinte-Curce (~10–54)

Connu pour la vie romancée, lacunaire, approximative et critique d’Alexandre, peu de choses le prédisposaient à parler de Jésus.

Publius Pomponius Secundus (~14-ap54)

Tragédien dont il ne reste que quelques vers.

Servilius Nonianus (†59)

Consul en 35 sous Tibère, il a écrit une Histoire romaine considérée comme essentielle par Tacite et Quintilien, mais complètement perdue.

Perse / Aulus Persius Flaccus (ap.34–62)

Écrivain stoïcien dénonçant notamment la fausse dévotion, la paresse et l’avarice. Ne semble pas avoir parlé de Jésus ni du christianisme.

Sénèque le Jeune (v1–65)

Dramaturge et homme d’État et philosophe stoïcien très critique à l’égard des superstitions et du polythéisme, sans croire en un dieu transcendant. Les Actes des Apôtres affirment que Paul de Tarse a comparu devant son frère Gallion (Actes 18:12-15), ce qui est peut-être à l’origine de la correspondance du philosophe avec Paul de Tarse (huit lettres de Sénèque et six de Paul), faux qui semble avoir été composé au IVe siècle. Plus encore que Philon, il aurait dû parler des chrétiens, censés exister à l’époque puisque Néron, dont il fut précepteur et conseiller, aurait ordonné leur massacre suite à l’incendie de Rome de 64, ce qui est assez douteux.

Fabius Rusticus (Ier)

Plusieurs fois cité par Tacite pour son éloquence, sa relation des faits les plus controversés de Néron et du suicide de Sénèque le Jeune, mais son œuvre, qui nourrit probablement celle de Tacite, a été perdue.

Philippe de Thessalonique (Ier)

Nous a transmis une anthologie d’épigrammes et en a composé lui-même ; ne semble pas avoir parlé de Jésus.

Pamphila (Ier)

A parlé d’Histoire et de littérature, notammant dans ses Hypomnèmata et épitomés. Elle fut citée par plusieurs contemporains, mais également par Diogène Laërce (IIIe) et Photius (IXe), mais aucun ne semble parler de sa connaissance de Jésus ou des chrétiens.

Lucain (39–65)

Neveu de Sénèque le Jeune, Lucain s’est également suicidé sur ordre de Néron. Il est auteur d’une épopée non achevée sur la Guerre Civile, Pharsale, dont on n’a conservé que des bribes. On sait qu’il a composé éloges, poèmes, saturnales, épigrammes, une tragédie, des livrets de ballets, un texte sur une descente aux enfers et un autre sur l’incendie de Rome, mais tous ont été perdus… Difficile donc de savoir s’il a parlé ou non de Jésus, ou des chrétiens en relation avec l’incendie.

Pétrone (†65)

Auteur supposé du Satyricon qu’il est difficile de dater, dont on ne connaît que des fragments, et qui, comme beaucoup d’ouvrages antiques, a probablement été augmenté au cours du temps. Il semble assez éloigné de la religion mais aurait pu écrire une satire sur les dévôts chrétiens, parler de persécutions et de la cruauté des sévices.

Marcus Cluvius Rufus (Ier)

Proche de Néron qui aurait participé au complot pour l’assassinat de Caligula. Ses témoignages auraient servi à Flavius Josèphe, Tacite, Plutarque et Suétone, mais on n’a rien directement retenu de ses écrits.

Onosandre (Ier)

Écrivain grec ayant composé un traité militaire théorique conservé, que l’on date indirectement du Ier. La Souda indique qu’il est également philosophe, sans aucune trace d’écrits.

Lucius Moderatus Columella (4–70)

On ne connaît malheureusement qu’un livre de cet auteur, qui ne parle que d’agriculture. C’est dommage, car il a par ailleurs été tribun en Syrie en 35.

Pline l’Ancien (23–79)

Les 37 volumes de son Histoire naturelle ambitionnent de collecter le savoir humain, dont l’histoire et la philosophie. Esprit libre et encyclopédique, il ignore Jésus et le christianisme alors que son Histoire naturelle parle des esséniens (livre 5, chapitre XVII).

Éruption du Vésuve de 79

Cette catastrophe naturelle, qui a eu lieu une cinquantaine d’années après la crucifixion présumée de Jésus et quinze années après la répression supposée des chrétiens par Néron suite à l’incendie de Rome en 64, a préservé des bâtiments et du mobilier à Pompéi et Herculanum.

Pompéi

S A T O R
A R E P O
T E N E T
O P E R A
R O T A S

Aucun graffiti ou trace de culte chrétien n’a été trouvé à Pompéi. Seul un curieux palindrome en deux dimensions (par rangées ou par colonnes) y a été découvert : SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS, que certains chrétiens interprètent comme trace de culture paléo-chrétienne : en effet, si la signification globale reste obscure*, la phrase n’utilisent que les lettres AENOPRST comme PATER NOSTER, prière transmise par les évangiles Matthieu et Luc (Mt 6:9-13, Lc 11:1-4).

*«Le semeur Arepo maintient ses roues avec soin» ou «Le créateur terre-à-terre maintient l’œuvre de rotation». AREPO est un hapax qui pourrait être le nom propre Arepo forgé pour l’occasion, tandis que «ramper, terre-à-terre» se serait écrit ARREPO.

Les palindromes à deux dimensions sont déjà si difficiles à composer qu’ajouter la contrainte de n’utiliser que certaines lettres est une gageure qu’il ne serait possible d’expliquer que par un miracle. Pour qui a la foi, tout peut s’expliquer de la sorte et surtout tout peut prouver que le christianisme était déjà implanté dans les environs de Naples au Ier siècle. Mais si le palindrome était un moyen de reconnaissance entre chrétiens, d’autres exemplaires auraient dû être retrouvés, à Herculanum par exemple.

Par ailleurs, le grec a été – même à Rome – la langue liturgique de la chrétienté jusque vers 300 (il en restait la prière Kyrie eleison dans la messe tridentine jusqu’en 1965), et il est vraiment peu probable que le Notre-Père se soit dit en latin en 79. Ceux que cela étonne n’ont qu’à se souvenir que la messe se disait en latin (Credo et Gloria compris) jusqu’en 1965, alors que la masse des fidèles le connaissait moins bien que les Romains du Ier siècle ne comprenaient le grec : la bonne société romaine apprenaient le grec et de nombreux esclaves et migrants provenaient d’un Moyen-Orient hellénisé.

Herculanum

1800 rouleaux carbonisés ont été retrouvés dans la Villa des Papyrus d’Herculanum, dont le traitement et le déchiffrement sont en cours, sans œuvre chrétienne jusqu’à présent.

Une trace cruciforme dans le mur d’une autre maison a été interprétée comme un support de croix chrétienne, mais la croix est un symbole «vieux comme le monde», et deux segments qui se croisent d’équerre peuvent facilement se retrouver dans des constructions sans qu’elle ne représentent un symbole. Par ailleurs, il s’agirait probablement du premier cas de la croix en tant que symbole chrétien.

Mara Bar Sérapion (50–?)

Syriaque connu par un unique manuscrit datant du VIe ou VIIe, contenant une lettre d’un père à son fils, contenant notamment :

Que devons-nous dire quand les sages sont conduits de force par des tyrans ? […] Quel bénéfice les Athéniens ont-ils tiré de la mise à mort de Socrate, vu qu’ils ont reçu comme rétribution la famine et la peste ? Ou les habitants de Samos en brûlant Pythagore, vu qu’en une heure tout leur pays a été couvert de sable ? Ou les Juifs du meurtre de leur roi sage, vu que de ce moment même ils ont été privés de leur royaume ? Car Dieu a vengé avec justice la sagesse des trois : les Athéniens sont morts de famine ; les habitants de Samos ont été irrémédiablement recouverts par la mer ; et les Juifs, livrés à la désolation, expulsés de leur royaume, sont dispersés dans tous les pays. Socrate n’est pas mort, grâce à Platon ; Pythagore non plus, grâce à la statue d’Héra ; et le roi sage non plus, grâce aux nouvelles lois qu’il a établies.

Le roi sage pourrait être Jésus, mais pourquoi n’est-il pas nommé par son nom ? Si la lettre entend par «privation de leur royaume» l’annexion romaine de la Palestine, Jésus est censé avoir été crucifié bien après, et s’il s’agit de la diaspora consécutive à la destruction du Temple (70ÈC), Jésus aurait alors été crucifié juste avant («de ce moment même»), ce qui est bien imprécis pour un Syriaque né en 50. Selon plusieurs historiens, le texte serait bien postérieur au Ier.

Selon Wikipedia, William Cureton fait un parallèle de ce texte avec les Oracles sibyllins (III, v. 362-364), relevant les allitérations entre la ville et leur devenirs) :

Ὅττι βροτοὶ φαύλου ζωῆς ἀδίκου τ’ ἐνέχοντο, ἔσται καὶ Σάμος ἄμμος, ἐσεῖται Δῆλος ἄδηλος, καὶ Ῥώμη ῤύμη Puisque les mortels sont habités par le mal et l’injustice, Samos sera sable (ammos), Délos sera invisible (adèlos), et Rome impétuosité (rumè)

…et cite Kathleen McVey, qui date le texte du IVe, soupçonnant une main chrétienne parodiant l’admiration de Jésus par un lettré païen.

Valerius Flaccus (†90)

Poète ayant surtout composé les Argonautes, dans lesquels il pouvait difficilement inclure Jésus ou des chrétiens.

Sulpicia (Ier)

Poétesse romaine active à la fin du Ier (règne de Domitien, 81-96), volontiers satirique ou érotique, dont l’œuvre résiduelle est composée de deux lignes. Difficile de la mobiliser pour quoi que ce soit.

Apollonios de Tyane (16–97)

Néopythagoricien végétarien et chaste, ayant parcouru le monde, prêchant la lutte contre le luxe, ressuscitant une jeune fille à l’occasion… N’ayant pas laissé d’œuvre écrite, il aurait difficilement pu parler de Jésus, mais il est souvent cité comme pouvant être un prototype du personnage.

Sa vie grandement légendaire, principalement connue par Philostrate (†245), est écrite à partir des carnets de Damis, à la demande de Julia Domna, femme de Septime Sévère : Jésus-Christ aurait tout aussi bien pu servir de modèle à Philostrate. Néanmoins, le personnage a été auparavant évoqué par Lucien de Samosate (v120-180) et Apulée (125-ap.170), qui ne figurent cependant pas parmi ses contemporains.

Gaius Musonius Rufus (v25–v101)

Philosophe stoïcien qui pensait que les femmes devaient être éduquées à la philosophie autant que les hommes. Il n’a probalement rien écrit mais son enseignement, essentiellement moral, est connu par deux disciples, Lucius et Pollion. Peu enclin à la théologie, il n’a semble-t-il pas parlé des religions ou sectes de son époque.

Silius Italicus (v26–v101)

Orateur, poète et homme politique, il fut proconsul d’Asie en 77 et aurait pu connaître des chrétiens. Seule son œuvre Punica nous est connue, où il n’avait pas l’occasion de parler de Jésus à l’origine d’une secte juive.

Damis (?–?)

Compagnon et disciple d’Apollonios selon son biographe Philostrate, qui l’a peut-être créé (ainsi que ses carnets) pour l’occasion. Bref, rien de sûr concernant l’existence de l’épigone du personnage semi-légendaire d’Apollonios.

Juste de Tibériade (Ier)

Rival de Josèphe, il a écrit une Histoire des Juifs, aujourd’hui perdue mais qui ne parlait pas de Jésus si on en croit le patriarche bibliophile de Constantinople Photius Ier (v820-v895) dans note sur la Chronique des rois des Juifs de Juste de Tibériade :

Ὡς δὲ τὰ Ἰουδαίων νοσῶν, Ἰουδαῖος καὶ αὐτὸς ὑπάρχων γένος, τῆς Χριστοῦ παρουσίας καὶ τῶν περὶ αὐτὸν τελεσθέντων καὶ τῶν ὑπ´ αὐτοῦ τερατουργηθέντων οὐδὲν ὅλως μνήμην ἐποιήατο. De même que tous les autres écrivains juifs, il [Juste de Tibériade] n’a fait aucune mention de la venue du Christ, des choses qui lui sont arrivées, de ses miracles.

Notons que Photius évoque le silence de tous les écrivains juifs, ce qui devrait également signifier celui de Josèphe.

Quintilien (35–96)

Surtout un rhétoricien qui n’a écrit que sur l’art oratoire ; son silence sur Jésus ne prouve pas grand-chose.

Flavius Josèphe (ca37–ca100)

Historien juif passé dans le camp des romains. Il a parlé des trois sectes «philosophiques» juives : longuement des esséniens, plus brièvement des pharisiens et des sadducéens (Guerre des Juifs, II:VIII), mais aucunement des chrétiens.

Dans ce même Livre II, XIII:1 de la Guerre des Juifs, il parle du caractère de Néron en ces termes :

Ὅσα μὲν οὖν Νέρων δι’ ὑπερβολὴν εὐδαιμονίας τε καὶ πλούτου παραφρονήσας ἐξύβρισεν εἰς τὴν τύχην, ἢ τίνα τρόπον τόν τε ἀδελφὸν καὶ τὴν γυναῖκα καὶ τὴν μητέρα διεξῆλθεν, ἀφ’ ὧν ἐπὶ τοὺς εὐγενεστάτους μετήνεγκεν τὴν ὠμότητα, [251] Καὶ ὡς τελευταῖον ὑπὸ φρενοβλαβείας ἐξώκειλεν εἰς σκηνὴν καὶ θέατρον, ἐπειδὴ δι’ ὄχλου πᾶσίν ἐστιν, παραλείψω, τρέψομαι δὲ ἐπὶ τὰ Ἰουδαίοις κατ’ αὐτὸν γενόμενα. Tous les défis que Néron lança à la fortune, quand l’excès de prospérité et de richesse eut égaré la tête, la manière dont il fit périr son frère, sa femme et sa mère, premières victimes d’une cruauté qu’il reporta ensuite sur les plus nobles personnages, enfin la démence qui l’entraîna sur la scène et sur le théâtre, tous ces faits, devenus si rebattus, je les laisserai de côté, et je me bornerai à raconter ce qui, de son temps, s’est passé chez les Juifs.

…sans pour autant parler de l’incendie de Rome qu’il aurait provoqué (ce qui serait plus qu’un détail), ni de la répression des chrétiens (les nobles personnages ?) qu’il aurait accusés pour se défausser.

Il aurait été le seul historien du premier siècle à parler de Jésus, si l’on en croit ces mêmes Antiquités judaïques (XVIII:III:3) :

[…] Οἱ δὲ καὶ πολὺ μειζόνως ἤπερ ἐπέταξεν Πιλᾶτος ἐχρῶντο πληγαῖς τούς τε θορυβοῦντας ἐν ἴσῳ καὶ μὴ κολάζοντες οἱ δ’ εἰσεφέροντο μαλακὸν οὐδέν, ὥστε ἄοπλοι ληφθέντες ὑπ’ ἀνδρῶν ἐκ παρασκευῆς ἐπιφερομένων πολλοὶ μὲν αὐτῶν ταύτῃ καὶ ἀπέθνησκον, οἱ δὲ καὶ τραυματίαι ἀνεχώρησαν. Καὶ οὕτω παύεται ἡ στάσις. 2 […] Comme les Juifs faisaient mine de l’injurier, il donna aux soldats le signal convenu à l’avance, et les soldats frappèrent encore bien plus violemment que Pilate le leur avait prescrit, châtiant à la fois les fauteurs de désordre, et les autres. Mais les Juifs ne manifestaient aucune faiblesse, au point que, surpris sans armes par des gens qui les attaquaient de propos délibéré, ils moururent en grand nombre sur place ou se retirèrent couverts de blessures. Ainsi fut réprimée la sédition.
Γίνεται δὲ κατὰ τοῦτον τὸν χρόνον Ἰησοῦς σοφὸς ἀνήρ, εἴγε ἄνδρα αὐτὸν λέγειν χρή· ἦν γὰρ παραδόξων ἔργων ποιητής, διδάσκαλος ἀνθρώπων τῶν ἡδονῇ τἀληθῆ δεχομένων, καὶ πολλοὺς μὲν Ἰουδαίους, πολλοὺς δὲ καὶ τοῦ Ἑλληνικοῦ ἐπηγάγετο· ὁ χριστὸς οὗτος ἦν. Καὶ αὐτὸν ἐνδείξει τῶν πρώτων ἀνδρῶν παρ’ ἡμῖν σταυρῷ ἐπιτετιμηκότος Πιλάτου οὐκ ἐπαύσαντο οἱ τὸ πρῶτον ἀγαπήσαντες· ἐφάνη γὰρ αὐτοῖς τρίτην ἔχων ἡμέραν πάλιν ζῶν τῶν θείων προφητῶν ταῦτά τε καὶ ἄλλα μυρία περὶ αὐτοῦ θαυμάσια εἰρηκότων. Εἰς ἔτι τε νῦν τῶν Χριστιανῶν ἀπὸ τοῦδε ὠνομασμένον οὐκ ἐπέλιπε τὸ φῦλον. 3 Vers le même temps vint Jésus, homme sage, [si toutefois il faut l’appeler un homme]. Car il était un faiseur de miracles et le maître des hommes qui reçoivent avec joie la vérité. Et il attira à lui beaucoup de Juifs et beaucoup de Grecs. [C’était le Christ]. Et lorsque sur la dénonciation de nos premiers citoyens, Pilate l’eut condamné à la crucifixion, ceux qui l’avaient d’abord chéri ne cessèrent pas de le faire, [car il leur apparut trois jours après ressuscité, alors que les prophètes divins avaient annoncé cela et mille autres merveilles à son sujet]. Et le groupe appelé d’après lui celui des Chrétiens n’a pas encore disparu.
Καὶ ὑπὸ τοὺς αὐτοὺς χρόνους ἕτερόν τι δεινὸν ἐθορύβει τοὺς Ἰουδαίους καὶ περὶ τὸ ἱερὸν τῆς Ἴσιδος τὸ ἐν Ῥώμῃ πράξεις αἰσχυνῶν οὐκ ἀπηλλαγμέναι συντυγχάνουσιν. Καὶ πρότερον τοῦ τῶν Ἰσιακῶν τολμήματος μνήμην ποιησάμενος οὕτω μεταβιβῶ τὸν λόγον ἐπὶ τὰ ἐν τοῖς Ἰουδαίοις γεγονότα. […] 4 Vers le même temps un autre trouble grave agita les Juifs et il se passa à Rome, au sujet du temple d’Isis, des faits qui n’étaient pas dénués de scandale. Je mentionnerai d’abord l’acte audacieux des sectateurs d’Isis et je passerai ensuite au récit de ce qui concerne les Juifs. […]

Mais il faut vraiment avoir la foi pour y croire. Tout d’abord, Josèphe résume peut-être trop bien l’essentiel de la foi chrétienne et il se serait probablement converti en écrivant cela : les premiers chrétiens étaient des juifs convaincus que leur Messie était enfin arrivé. C’est pour cela que certains auteurs chrétiens admettent de courtes interpolations [entre crochets] afin de rendre le texte plus plausible. Ce procédé est inacceptable : ôter ce qui rend un récit improbable ne peut le rendre plus fiable. Et accepter qu’il y a eu interpolation, même partielle, signifie que les chrétiens corrigeaient les textes en leur faveur.

D’autre part, ce paragraphe émerveillé cadre très mal avec le style factuel des paragraphes qui l’entourent ; le §4 commence d’ailleurs par «un autre trouble grave agita les juifs», en continuation du §2. Par ailleurs, le mot «chrétien» ne semble pas avoir été utilisé au Ier siècle. Pour les tenants de l’authenticité, le texte acceptable est une interpolation par Josèphe lui-même, coutumier du fait (sans pour autant donner d’exemples), et les parties inacceptables sont des notes marginales de glosateurs, insérées par erreur dans le texte par des copistes distraits.

De plus, Origène (v185-v253) signale que Josèphe ne croyait pas que Jésus était le Messie (Contra Celsum, I, 47), ce qui laisse penser que sa version des Antiquités judaïque n’affirmait pas que Jésus était le Christ. Cela ne prouve pas non plus que le reste y figurait : Origène discute surtout de l’explication de la destruction du temple par la faute de la lapidation de Jacques «frère de Jésus, nommé Christ», comme si la mort de Jacques était plus importante que celle de son frère le Christ.

Enfin, plusieurs spécialistes chrétiens n’y croient pas eux-mêmes. Dans La Palestine au temps de Jésus-Christ [1] (1885), le théologien protestant Edmond Stapfer parle des éditions chrétiennes de Josèphe, où l’on apprend que le «passage sur Jésus-Christ ne nous est parvenu qu’interpolé par les chrétiens ; peut-être même a-t-il été entièrement composé par eux. Ce passage, où Jésus-Christ est expressément désigné comme le Christ annoncé par les prophètes, servit pendant des siècles à défrayer l’apologétique.» Juste après la citation entière du «témoignage de Josèphe» : «L’authenticité de ce morceau finit cependant par être mise en doute et, au dix-septième siècle, il n’était plus défendu par personne.»

Les même doutes traversent la réponse de Maurice Goguel à Louis Couchoud pour son article «L’énigme de Jésus» dans le Mercure de France n°596 de mars 1923, «À propos de “L’énigme Jésus„» [2] dans le même périodique, n°599 de juin 1923 ; Lagrange [3] précise, dans un ouvrage ayant reçu l’imprimatur, que «tout cet endroit est interpolé par une main chrétienne» (p.19), renvoyant à Schurer, qui a fait un «Bon résumé de la discussion» dans Geschichte I, pp. 541-519 ; Batiffol [4] parle clairement du «silence de Josèphe», une «énigme» qui s’expliquerait par la prudence de l’historien arrivé à Rome en 64, juste après le massacre par Néron… Daniel-Rops [5], dans le sous-chapitre «Le silence de Josèphe», est certain que «flagorneur jusqu’à l’abject» (p.13) bien que «vaniteux» (p.12), Josèphe ne pouvait pas en parler, par soumission au pouvoir.

Dans une non-réponse au texte de Couchoud cité plus haut, Léonce de Grandmaison [6] admet que le texte est controversé, et que les R. P. Lagrange et Mgr P. Batiffol «refusent d’en faire état», ce qui est mensonger : ils en font état, en le rejetant.

  1. Edmond Stapfer, La Palestine au temps de jésus-christ. D’après le Nouveau Testament, l’historien Flavius Josèphe et les Talmuds, Fischracher, 1885
  2. Maurice Goguel, «À propos de “L’énigme Jésus„», Mercure de France, n°599 de juin 1923
  3. Marie-Joseph Lagrange, Le messianisme chez les Juifs, ~150-200, 1909
  4. Pierre Batiffol, Orpheus et l’évangile, 1910 (seulement trouvé en traduction anglaise)
  5. Daniel-Rops, Jésus en son temps, coll. Les grandes études historiques, Arthème Fayard, 1945, 5e éd. (pp.12-15) ; l’introduction de l’édition de poche (1971) est remaniée, et «Le silence de Josèphe» est tu.
  6. Léonce de Grandmaison, «Jésus dans l’Histoire», Mercure de France n°604 du 1923.08.15, pp. 22-48 (p.33),

La question actuelle est de savoir sur quelles pièces nouvelles ou quels nouveaux savoirs certains chercheurs actuels, comme Jean-Marie Salamito, se basent pour affirmer que Josèphe n’a pas été interpolé, ou si peu. Il faut semble-t-il les croire sans voir.

Jacques, frère de Jésus

Au livre XX:IX:1 §197 des Antiquités judaïques se lit également :

Ἅτε δὴ οὖν τοιοῦτος ὢν ὁ Ἄνανος, νομίσας ἔχειν καιρὸν ἐπιτήδειον διὰ τὸ τεθνάναι μὲν Φῆστον, Ἀλβῖνον δ’ ἔτι κατὰ τὴν ὁδὸν ὑπάρχειν, καθίζει συνέδριον κριτῶν καὶ παραγαγὼν εἰς αὐτὸ τὸν ἀδελφὸν Ἰησοῦ τοῦ λεγομένου Χριστοῦ, Ἰάκωβος ὄνομα αὐτῷ, καί τινας ἑτέρους, ὡς παρανομησάντων κατηγορίαν ποιησάμενος παρέδωκε λευσθησομένους. Comme Anan était tel et qu’il croyait avoir une occasion favorable parce que Festus était mort et Albinus encore en route, il réunit un sanhédrin, traduisit devant lui Jacques, frère de Jésus appelé le Christ, et certains autres, en les accusant d’avoir transgressé la loi, et il les fit lapider.

Ce sont cependant les seuls endroits où apparaît le nom de Jésus associé au Christ dans tout le document. Et encore, «Jésus appelé le Christ» (ησον τον λεγομένου Χρίστου) semble plus distancié que dans le passage précédent.

Par ailleurs, les catholiques refusent que Marie ait eu d’autres enfants que Jésus, prétendant qu’il s’agissait en fait de cousins, mais le grec fait clairement la différence entre frère (adelphos ἀδελφός) et cousin (exadelphos ἐξάδελφος ou anepsios ἀνεψιός). La mention d’un frère de Jésus devrait donc leur paraître suspecte. Les orthodoxes préfèrent penser qu’il s’agissait des enfants de Joseph d’un premier mariage, avant qu’il ne recueille Marie. Les protestants, pour autant qu’il soit possible d’en recenser toutes les variétés, ne s’en formalisent pas.

Photius (v820-891), patriarche de Constantinople, affirme dans un écrit sur Juste de Tibériade qu’aucun historien juif ne parlent de Jésus. Par ailleurs, Josèphe ne mentionne aucune crucifixion sous Pilate. Très peu de choses laissent donc penser que les deux passages de Josèphe sont originaux.

Jean le baptiseur

Certains auteurs (comme Grandmaison) semblent vouloir utiliser le fait que Josèphe parle de Jean le baptiste (Antiquités judaïques XVIII:V:2) pour historiciser les évangiles, mais il ne suffit pas d’insérer un personnage historique dans un texte pour rendre celui-ci historique : faire reconnaître Jésus par Jean peut avoir pour but de rallier les mandéens dont Jean était probablement un chef de file, ou de dissuader les chrétiens de rejoindre ce mouvement, tout comme les évangiles critiquent pharisiens et saducéens.

Il est à noter que le Nouveau Testament présente généralement un Jean «proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés» (Marc 1:4, Luc 3:3), «un baptême de repentance» (Actes 13:24, Actes 19:4), repris par Paul : «Reçois le baptême et purifie-toi de tes péchés» (Actes 22:16). La première épître de Pierre voit au contraire dans le baptême un engagement : «c’est le baptême qui vous sauve à présent et qui n’est pas l’enlèvement d’une souillure charnelle, mais l’engagement à Dieu d’une bonne conscience par la résurrection de Jésus Christ» (1 Pierre 3:21). Pour Josèphe, ce n’est ni l’un ni l’autre, le baptême de Jean ne sert pas «pour se faire pardonner certaines fautes, mais pour purifier le corps, après qu’on eût préalablement purifié l’âme par la justice» (Antiquités Judaïques XVIII:V:2 ) :

Τισὶ δὲ τῶν Ἰουδαίων ἐδόκει ὀλωλέναι τὸν Ἡρώδου στρατὸν ὑπὸ τοῦ θεοῦ καὶ μάλα δικαίως τινυμένου κατὰ ποινὴν Ἰωάννου τοῦ ἐπικαλουμένου βαπτιστοῦ. Or, il y avait des Juifs pour penser que, si l’armée d’Hérode avait péri, c’était par la volonté divine et en juste vengeance de Jean surnommé Baptiste.
Κτείνει γὰρ δὴ τοῦτον Ἡρώδης ἀγαθὸν ἄνδρα καὶ τοῖς Ἰουδαίοις κελεύοντα ἀρετὴν ἐπασκοῦσιν καὶ τὰ πρὸς ἀλλήλους δικαιοσύνῃ καὶ πρὸς τὸν θεὸν εὐσεβείᾳ χρωμένοις βαπτισμῷ συνιέναι· οὕτω γὰρ δὴ καὶ τὴν βάπτισιν ἀποδεκτὴν αὐτῷ φανεῖσθαι μὴ ἐπί τινων ἁμαρτάδων παραιτήσει χρωμένων, ἀλλ’ ἐφ’ ἁγνείᾳ τοῦ σώματος, ἅτε δὴ καὶ τῆς ψυχῆς δικαιοσύνῃ προεκκεκαθαρμένης. En effet, Hérode l’avait fait tuer, quoique ce fût un homme de bien et qu’il excitât les Juifs à pratiquer la vertu, à être justes les uns envers les autres et pieux envers Dieu pour recevoir le baptisme ; car c’est à cette condition que Dieu considérerait le baptême comme agréable, s’il servait non pour se faire pardonner certaines fautes, mais pour purifier le corps, après qu’on eût préalablement purifié l’âme par la justice.
Καὶ τῶν ἄλλων συστρεφομένων, καὶ γὰρ ἥσθησαν ἐπὶ πλεῖστον τῇ ἀκροάσει τῶν λόγων, δείσας Ἡρώδης τὸ ἐπὶ τοσόνδε πιθανὸν αὐτοῦ τοῖς ἀνθρώποις μὴ ἐπὶ ἀποστάσει τινὶ φέροι, πάντα γὰρ ἐῴκεσαν συμβουλῇ τῇ ἐκείνου πράξοντες, πολὺ κρεῖττον ἡγεῖται πρίν τι νεώτερον ἐξ αὐτοῦ γενέσθαι προλαβὼν ἀνελεῖν τοῦ μεταβολῆς γενομένης [μὴ] εἰς πράγματα ἐμπεσὼν μετανοεῖν. Des gens s’étaient rassemblés autour de lui, car ils étaient très exaltés en l’entendant parler. Hérode craignait qu’une telle faculté de persuader ne suscitât une révolte, la foule semblant prête à suivre en tout les conseils de cet homme. Il aima donc mieux s’emparer de lui avant que quelque trouble se fût produit à son sujet, que d’avoir à se repentir plus tard, si un mouvement avait lieu, de s’être exposé à des périls.
Καὶ ὁ μὲν ὑποψίᾳ τῇ Ἡρώδου δέσμιος εἰς τὸν Μαχαιροῦντα πεμφθεὶς τὸ προειρημένον φρούριον ταύτῃ κτίννυται. Τοῖς δὲ Ἰουδαίοις δόξαν ἐπὶ τιμωρίᾳ τῇ ἐκείνου τὸν ὄλεθρον ἐπὶ τῷ στρατεύματι γενέσθαι τοῦ θεοῦ κακῶσαι Ἡρώδην θέλοντος. À cause de ces soupçons d’Hérode, Jean fut envoyé à Machaero, la forteresse dont nous avons parlé plus haut, et y fut tué. Les Juifs crurent que c’était pour le venger qu’une catastrophe s’était abattue sur l’armée, Dieu voulant ainsi punir Hérode.

Photius dit de sa lecture des Antiquités judaïques de Josèphe :

Ὅτι Ἡρώδης ὁ τετράρχης Γαλιλαίας καὶ Περαίας, παῖς Ἡρώδου τοῦ μεγάλου, ἠράσθη (ὡς Ἰώσηπός φησιν) ἀδελφοῦ Ἡρώδου γυναῖκα ὄνομα Ἡρωδιάδα· ἀπόγονος δ´ ἦν αὕτη τοῦ μεγάλου Ἡρώδου, Ἀριστοβούλῳ τῷ παιδί, ὃν ἐκεῖνος ἀνεῖλε γεγενημένη· ἦν δ´ αὐτῇ καὶ ὁ ἀδελφὸς Ἀγρίππας. Ταύτην Ἡρώδης τἀνδρὸς διαστήσας ἠγάγετο γυναῖκα. Οὗτός ἐστιν ὁ τὸν μέγαν ἀνελὼν Ἰωάννην τὸν Πρόδρομον, δεδιώς (Ἰώσηπός φησι) μὴ τὸ ἔθνος αὐτοῦ διαστήσει· πάντες γὰρ δι´ ὑπερβολὴν ἀρετῆς τοῖς Ἰωάννου λόγοις εἵποντο. Κατὰ τοῦτον καὶ τὸ σωτήριον ἐγεγόνει πάθος. Hérode, tétrarque de Galilée et de Pérée, fils d’Hérode le Grand, rapporte Josèphe, s’éprit de la femme de son frère Hérode qui fut appelé Hérodias. Elle descendait également d’Hérode le Grand, née de son fils Aristobule qu’Hérode le Grand avait fait mettre à mort ; elle avait Agrippa pour frère. Hérode la prit à son mari et en fit son épouse. C’est lui qui assassina Jean le Précurseur de peur, dit Josèphe, qu’il soulevât le peuple contre lui parce que tous suivaient les enseignements de Jean liés à son exceptionnelle vertu. C’est sous son règne que la Passion du Sauveur eut lieu.

C’est donc de lui-même que ce chrétien fait le lien entre Jean le baptiseur (qu’il renomme «le précurseur») et la «Passion du Sauveur», cela ne découle pas du texte de Josèphe.

Thallus (Ier siècle?)

Auteur dont on ne connaît que quelques fragments. Il aurait écrit une chronologie en trois tomes commençant à la Guerre de Troie, et se terminant à différentes époques selon les mentions, dont la première connue, qui date au plus tôt de 180ÈC, est faite par l’évêque Theophile d’Antioche (†v185). Selon Jules l’Africain (v160-v240), auteur chrétien qui écrivit une Histoire du Monde (221) «dans une optique chrétienne» (WP), Thallus aurait expliqué les ténèbres en plein jour lors de la mort de Jésus par une éclipse.

D’un point de vue astronomique, une «éclipse solaire» (l’occultation du soleil par la lune) n’est possible qu’à la nouvelle lune, moment où celle-ci se situe entre la terre et le soleil. Or la Pâque juive est fêtée le 14 Nizan, lors de la pleine lune de printemps, lorsque la terre est entre la lune et le soleil. Ce qui est possible lors d’une pleine lune, c’est que la terre empêche la lumière du soleil d’atteindre la lune, à savoir une éclipse de lune.

Les apologétiques décèlent un Thallus contemporain de Jésus cité par Josèphe, mais il pourrait s’agir d’une lecture erronée : Thallos samariteos, «Thallus le Samaritain», pour allos samariteos, «autre samaritain».

Stace (40–96)

Poète ayant écrit une épopée, un récit mythologique et surtout des impromptus, Les Sylves (v92) où il décrit des tableaux de la vie romaine, dans lesquels il aurait pu parler de chrétiens.

Martial (v40–v103)

Poète touche-à-tout, il a composé des épigrammes qui décrivent la société romaine. Il ne semble pas avoir entendu parler de Jésus ou du Christ, ou avoir connu de chrétiens. Peu favorable à Néron, il ne l’a pas incriminé pour l’incendie de Rome de 64.

Plutarque de Chéronée (v45–125)

A écrit Les vies parallèles des hommes illustres, composés entre 100 et 120, qui compare des hommes politiques, conquérants… grecs et romains : il n’y avait donc pas de place pour un prophète ou un réformateur religieux de Palestine. Ses Œuvres morales (78 traités) et ses autres écrits sur la religion ne parlent pas de Jésus ou des chrétiens.

Épictète (50–v125)

Philosophe stoïcien dont l’œuvre est partiellement connu par des notes de son disciple Arrien. Pas trace de Jésus ni des chrétiens dans l’œuvre qu’Arrien a partiellement rapporté dans deux ouvrages : Les Entretiens et Le Manuel.

Juvénal (50/60–v130)

Auteur satiriste à l’égard de beaucoup de monde et notammant des religieux, il aurait pu se moquer des chrétiens, mais ne semble pas l’avoir fait.

Tacite (58–v120)

A écrit entre autres choses Les Histoires (106-109) et Les Annales (110), qui parlent de Rome sous les empereurs Tibère, Caligula, Claude et Néron. Au chapitre 44 du livre XV des Annales, on lit, après l’incendie de Rome de juillet 64 :

et haec quidem humanis consiliis providebantur. mox petita [a] dis piacula aditique Sibyllae libri, ex quibus supplicatum Volcano et Cereri Proserpinaeque, ac propitiata Iuno per matronas, primum in Capitolio, deinde apud proximum mare, unde hausta aqua templum et simulacrum deae perspersum est ; et sellisternia ac pervigilia celebravere feminae, quibus mariti erant. 1 La prudence humaine avait ordonné tout ce qui dépend de ses conseils : on songea bientôt à fléchir les dieux, et l’on ouvrit les livres Sibyllins. D’après ce qu’on y lut, des prières furent adressées à Vulcain, à Cérès et à Proserpine : des dames romaines implorèrent Junon, premièrement au Capitole, puis au bord de la mer la plus voisine, où l’on puisa de l’eau pour faire des aspersions sur les murs du temple et la statue de la déesse ; enfin les femmes actuellement mariées célébrèrent des sellisternes et des veillées religieuses.
sed non ope humana, non largitionibus principis aut deum placamentis decedebat infamia, quin iussum incendium crederetur. ergo abolendo rumori Nero subdidit reos et quaesitissimis poenis adfecit, quos per flagitia invisos vulgus Chrestianos appellabat. 2 Mais aucun moyen humain, ni largesses impériales, ni cérémonies expiatoires ne faisaient taire le cri public qui accusait Néron d’avoir ordonné l’incendie. Pour apaiser ces rumeurs, il offrit d’autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d’hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens.
auctor nominis eius Christus Tibero imperitante per procuratorem Pontium Pilatum supplicio adfectus erat ; repressaque in praesens exitiablilis superstitio rursum erumpebat, non modo per Iudaeam, originem eius mali, sed per urbem etiam, quo cuncta undique atrocia aut pudenda confluunt celebranturque. 3 Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate. Réprimée un instant, cette exécrable superstition débordait de nouveau, non seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d’infamies et d’horreurs afflue et trouve des partisans.
igitur primum correpti qui fatebantur, deinde indicio eorum multitudo ingens haud proinde in crimine incendii quam odio humani generis convicti sunt. et pereuntibus addita ludibria, ut ferarum tergis contecti laniatu canum interirent aut crucibus adfixi [aut flammandi atque], ubi defecisset dies, in usu[m] nocturni luminis urerentur. 4 On saisit d’abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d’autres, qui furent bien moins convaincus d’incendie que de haine pour le genre humain. On fit de leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par des chiens ; d’autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en place de flambeaux.
hortos suos ei spectaculo Nero obtulerat, et circense ludicrum edebat, habitu aurigae permixtus plebi vel curriculo insistens. unde quamquam adversus sontes et novissima exempla meritos miseratio oriebatur, tamquam non utilitate publica, sed in saevitiam unius absumerentur. 5 Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s’ouvraient à la compassion, en pensant que ce n’était pas au bien public, mais à la cruauté d’un seul, qu’ils étaient immolés.

Cette description digne d’un péplum est assez peu convainquante. Ce sont les chrétiens qui sont persuadés que le christianisme a sa source en Judée, les Romains sachant qu’il y a des juifs partout et même à Rome. L’histoire moderne remet fortement en cause ce genre de mise à mort par les lions (ainsi que l’imagerie reçue sur la gladiature). Cette mise en scène fut reprise et amplifiée par Henryk Sienkiewicz (1846-1916) dans son roman Quo vadis (1896), qui se base sur les «Actes de Pierre» que l’Église considère apocryphes.

Par ailleurs, l’éclairage à l’humain badigeonné de «matières inflammables» ne doit pas être de bonne qualité mais beaucoup empester. Si Néron avait ouvert ses jardins aux sinistrés, ce n’était pas pour les enfumer davantage. Il semblerait enfin que Pilate était préfet et non procurateur ; cette imprécision trahit peut-être une interpolation tardive.

Enfin, les Annales de Tacite, inconnues durant l’antiquité et le moyen âge, ont été mises au jour vers 1430 par le grand découvreur de manuscrits Poggio Bracciolini, dit le Pogge (1380-1459). Ce genre de réapparition est tout à fait possible, mais beaucoup de mystères planent sur les circonstances de cette acquisition aussitôt disparue.

Pline le Jeune / Caius Secundus (v61–v114)

Neveu de Pline l’Ancien. Avocat, sénateur, et gouverneur, connu pour sa correspondance. Dans une lettre à l’empereur Trajan qu’il aurait écrite vers 112, on y trouve une mention du Christ et des chrétiens :

PLINIUS TRAIANO IMPERATORI X:97 Pline à l’empereur Trajan.
Sollemne est mihi, domine, omnia de quibus dubito ad te referre. Quis enim potest melius uel cunctationem meam regere uel ignorantiam instruere? Cognitionibus de Christianis interfui numquam : ideo nescio quid et quatenus aut puniri soleat aut quaeri. 1 Je me suis fait un devoir, seigneur, de vous consulter sur tous mes doutes. Car qui peut mieux que vous me guider dans mes incertitudes ou éclairer mon ignorance? Je n’ai jamais assisté aux informations contre les chrétiens aussi j’ignore à quoi et selon quelle mesure s’applique ou la peine ou l’information.
Nec mediocriter haesitaui, sitne aliquod discrimen aetatum, an quamlibet teneri nihil a robustioribus differant ; detur paenitentiae uenia, an ei, qui omnino Christianus fuit, desisse non prosit ; nomen ipsum, si flagitiis careat, an flagitia cohaerentia nomini puniantur. Interim, <in> iis qui ad me tamquam Christiani deferebantur, hunc sum secutus modum. 2 Je n’ai pas su décider s’il faut tenir compte de l’âge, ou confondre dans le même châtiment l’enfant et l’homme fait ; s’il faut pardonner au repentir, ou si celui qui a été une fois chrétien ne doit pas trouver de sauvegarde à cesser de l’être ; si c’est le nom seul, fût-il pur de crime, ou les crimes attachés au nom, que l’on punit. Voici toutefois la règle que j’ai suivie à l’égard de ceux que l’on a déférés à mon tribunal comme chrétiens.
Interrogaui ipsos an essent Christiani. Confitentes iterum ac tertio interrogaui supplicium minatus ; perseuerantes duci iussi. Neque enim dubitabam, qualecumque esset quod faterentur, pertinaciam certe et inflexibilem obstinationem debere puniri. 3 Je leur ai demandé s’ils étaient chrétiens. Quand ils l’ont avoué, j’ai réitéré ma question une seconde et une troisième fois, et les ai menacés du supplice. Quand ils ont persisté, je les y ai envoyés : car, de quelque nature que fût l’aveu qu’ils faisaient, j’ai pensé qu’on devait punir au moins leur opiniâtreté et leur inflexible obstination.
Fuerunt alii similis amentiae, quos, quia ciues Romani erant, adnotaui in urbem remittendos. Mox ipso tractatu, ut fieri solet, diffundente se crimine plures species inciderunt. 4 J’en ai réservé d’autres, entêtés de la même folie, pour les envoyer à Rome, car ils sont citoyens romains. Bientôt après, les accusations se multipliant, selon l’usage, par la publicité même, le délit se présenta sous un plus grand nombre de formes.
Propositus est libellus sine auctore multorum nomina continens. Qui negabant esse se Christianos aut fuisse, cum praeeunte me deos appellarent et imagini tuae, quam propter hoc iusseram cum simulacris numinum afferri, ture ac uino supplicarent, praeterea male dicerent Christo, quorum nihil cogi posse dicuntur qui sunt re uera Christiani, dimittendos putaui. 5 On publia un écrit anonyme, où l’on dénonçait beaucoup de personnes qui niaient être chrétiennes ou avoir été attachées au christianisme. Elles ont, en ma présence, invoqué les dieux, et offert de l’encens et du vin à votre image que j’avais fait apporter exprès avec les statues de nos divinités ; elles ont, en outre, maudit le Christ (c’est à quoi, dit-on, l’on ne peut jamais forcer ceux qui sont véritablement chrétiens). J’ai donc cru qu’il les fallait absoudre.
Alii ab indice nominati esse se Christianos dixerunt et mox negauerunt ; fuisse quidem sed desisse, quidam ante triennium, quidam ante plures annos, non nemo etiam ante uiginti. quoque omnes et imaginem tuam deorumque simulacra uenerati sunt et Christo male dixerunt. 6 D’autres, déférés par un dénonciateur, ont d’abord reconnu qu’ils étaient chrétiens, et se sont rétractés aussitôt, déclarant que véritablement ils l’avaient été, mais qu’ils ont cessé de l’être, les uns depuis plus de trois ans, les autres depuis un plus grand nombre d’années, quelques-uns depuis plus de vingt ans. Tous ont adoré votre image et les statues des dieux ; tous ont maudit le Christ.
Affirmabant autem hanc fuisse summam uel culpae suae uel erroris, quod essent soliti stato die ante lucem conuenire, carmenque Christo quasi deo dicere secum inuicem seque sacramento non in scelus aliquod obstringere, sed ne furta ne latrocinia ne adulteria committerent, ne fidem fallerent, ne depositum appellati abnegarent. Quibus peractis morem sibi discedendi fuisse rursusque coeundi ad capiendum cibum, promiscuum tamen et innoxium ; quod ipsum facere desisse post edictum meum, quo secundum mandata tua hetaerias esse uetueram. 7 Au reste ils assuraient que leur faute ou leur erreur n’avait jamais consisté qu’en ceci : ils s’assemblaient, à jour marqué, avant le lever du soleil ; ils chantaient tour à tour des hymnes à la louange du Christ, comme en l’honneur d’un dieu ; ils s’engageaient par serment, non à quelque crime, mais à ne point commettre de vol, de brigandage, d’adultère, à ne point manquer à leur promesse, à ne point nier un dépôt ; après cela, ils avaient coutume de se séparer, et se rassemblaient de nouveau pour manger des mets communs et innocents. Depuis mon édit, ajoutaient-ils, par lequel, suivant vos ordres, j’avais défendu les associations, ils avaient renoncé à toutes ces pratiques.
Quo magis necessarium credidi ex duabus ancillis, quae ministrae dicebantur, quid esset ueri, et per tormenta quaerere. Nihil aliud inueni quam superstitionem prauam et immodicam. 8 J’ai jugé nécessaire, pour découvrir la vérité, de soumettre à la torture deux femmes esclaves qu’on disait initiées à leur culte. Mais je n’ai rien trouvé qu’une superstition extraordinaire et bizarre.
Ideo dilata cognitione ad consulendum te decucurri. Visa est enim mihi res digna consultatione, maxime propter periclitantium numerum. Multi enim omnis aetatis, omnis ordinis, utriusque sexus etiam uocantur in periculum et uocabuntur. Neque ciuitates tantum, sed uicos etiam atque agros superstitionis istius contagio peruagata est ; quae uidetur sisti et corrigi posse. 9 J’ai donc suspendu l’information pour recourir à vos lumières. L’affaire m’a paru digne de réflexion, surtout à cause du nombre que menace le même danger. Une multitude de gens de tout âge, de tout ordre, de tout sexe, sont et seront chaque jour impliqués dans cette accusation. Ce mal contagieux n’a pas seulement infecté les villes ; il a gagné les villages et les campagnes. Je crois pourtant que l’on y peut remédier, et qu’il peut être arrêté.
Certe satis constat prope iam desolata templa coepisse celebrari, et sacra sollemnia diu intermissa repeti passimque uenire uictimas, cuius adhuc rarissimus emptor inueniebatur. Ex quo facile est opinari, quae turba hominum emendari possit, si sit paenitentiae locus. 10 Ce qu’il y a de certain, c’est que les temples, qui étaient presque déserts, sont fréquentés, et que les sacrifices, longtemps négligés, recommencent. On vend partout des victimes qui trouvaient auparavant peu d’acheteurs. De là on peut aisément juger combien de gens peuvent être ramenés de leur égarement, si l’on fait grâce au repentir.

Cette lettre atteste qu’il existait des personnes priant un Christ comme à un dieu (7. «Christo quasi deo») au début du IIe de notre ère, et prétend que cela inquiétait l’empire. Elle cadre cependant mal avec la grande tolérance romaine aux croyances tant qu’elles n’amenaient pas de désordre : la «folie» (4) religieuse en soi ne les inquiétaient pas. Les questions de Pline trahissent en outre une incompétence alors qu’il est juriste et quinquagénaire. Ce qui trahit le plus l’origine chrétienne de cette lettre, c’est l’idée qu’un citoyen romain était automatiquemet jugé à Rome par l’empereur (4), croyance partagée avec les Actes des Apôtres, quand, en qualité de citoyen romain, Paul en appelle à César (Actes 25:10-12).

La réponse de Trajan est pour le moins curieuse : il ne faut pas rechercher les chrétiens, mais les punir s’il sont coupables (de quelles préventions ?), et à condition que la dénonciation ne soit pas anonyme :

TRAIANUS PLINIO X-98 Trajan à Pline.
Actum quem debuisti, mi Secunde, in excutiendis causis eorum, qui Christiani ad te delati fuerant, secutus es. Neque enim in uniuersum aliquid, quod quasi certam formam habeat, constitui potest. 1 Vous avez fait ce que vous deviez faire, mon cher Pline, dans l’examen des poursuites dirigées contre les chrétiens. Il n’est pas possible d’établir une forme certaine et générale dans cette sorte d’affaires.
Conquirendi non sunt ; si deferantur et arguantur, puniendi sunt, ita tamen ut, qui negauerit se Christianum esse idque re ipsa manifestum fecerit, id est supplicando dis nostris, quamuis suspectus in praeteritum, ueniam ex paenitentia impetret. Sine auctore uero propositi libelli <in> nullo crimine locum habere debent. Nam et pessimi exempli nec nostri saeculi est. 2 Il ne faut pas faire de recherches contre eux. S’ils sont accusés et convaincus, il faut les punir ; si pourtant l’accusé nie qu’il soit chrétien, et qu’il le prouve par sa conduite, je veux dire en invoquant les dieux, il faut pardonner à son repentir, de quelque soupçon qu’il ait été auparavant chargé. Au reste, dans nul genre d’accusation, il ne faut recevoir de dénonciation sans signature. Cela serait d’un pernicieux exemple et contraire aux maximes de notre règne.

Ces lettres fait partie du Livre X de la correspondance de Pline le Jeune, inconnu durant l’antiquité, notamment par son admirateur Sidoine Apollinaire (430-486) qui affirme que Caius Secundus s’était limité à neuf livres (première lettre du neuvième livre de Sidoine Apollinaire). Le livre X de Pline sera découvert à Paris vers 1 500 par un architecte dominicain du nom de Jucundus de Vérone lorsqu’il fut appelé par Louis XII pour y contruire un pont. Cela n’est pas impossible.

Joseph Variot, Les lettres de Pline le Jeune. Correspondance avec Trajan relativement aux chrétiens de Pont et de Bithynie, Revue des questions historiques vol. 24 (1878) p. 80-153.

Par ailleurs, il existe un autre rescrit, d’Hadrien, successeur de Trajan, au légat Minicius, qui nous est parvenu en grec par Eusèbe de Césarée (265-339) dans son Historia Ecclesiastica IX, et en latin par Rufin d’Aquilée (345-411). Le texte latin est tirés du livre Le rescrit d’Hadrien à Minicius Fundanus de C. Callewaert, professeur et directeur d’histoire ecclésiastique du Séminaire de Bruges, la traduction du latin est sous réserve.

Μινουκίῳ Φουνδανῷ À Minucius Fundanus.
Exemplum epistulae imperatoris Hadriani ad Minucium Fundanum, proconsulem Asiae Une copie de la lettre de l’empereur Hadrien à Minicius Fundanus, proconsul d’Asie
ἐπιστολὴν ἐδεξάμην γραφεῖσάν μοι ἀπὸ Σερεννίου Γρανιανοῦ, λαμπροτάτου ἀνδρός, ὅντινα σὺ διεδέξω. οὐ δοκεῖ μοι οὖν τὸ πρᾶγμα ἀζήτητον καταλιπεῖν, ἵνα μήτε οἱ ἄνθρωποι ταράττωνται καὶ τοῖς συκοφάνταις χορηγία κακουργίας παρασχεθῇ. J’ai reçu une lettre que m’a écrite le clarissime Serennius Granianus dont tu es le successeur. L’affaire qu’il me proposait m’a semblé mériter examen, de peur que les hommes ne soient inquiétés, et les dénonciateurs, favorisés dans leur mauvaise besogne.
Accepi litteras ad me scriptas a decessore tuo Serennio Graniano clarissimo uiro et non placet mihi relationem silentio praeterire, ne et innoxii perturbentur et calumniatoribus latrocinandi tribuatur occasio. J’ai reçu une lettre que m’a écrite ton très illustre prédécesseur Serennio Granianus, et il me plaît de ne pas passer le rapport sous silence, de peur que l’innocent ne soit inquiété et que l’occasion de mal se conduire ne soit donnée aux faux accusateurs.
εἰ οὖν σαφῶς εἰς ταύτην τὴν ἀξίωσιν οἱ ἐπαρχιῶται δύνανται διισχυρίζεσθαι κατὰ τῶν Χριστιανῶν, ὡς καὶ πρὸ βήματος ἀποκρίνασθαι, ἐπὶ τοῦτο μόνον τραπῶσιν, ἀλλ’ οὐκ ἀξιώσεσιν οὐδὲ μόναις βοαῖς. πολλῷ γὰρ μᾶλλον προσῆκεν, εἴ τις κατηγορεῖν βούλοιτο, τοῦτό σε διαγινώσκειν. Si donc les habitants de la province peuvent ouvertement soutenir leur requête contre les chrétiens, de façon à ce que la chose soit plaidée devant le tribunal, qu’ils se servent de ce seul moyen et non pas d’acclamations ni de simples cris. Il est, en effet, préférable de beaucoup, si quelqu’un veut porter une accusation, que tu en connaisses toi-même.
Itaque si euindenter prouinciales huic petitioni suae adesse ualent aduersum christianos, ut pro tribunali eos in aliquos arguant, hoc eis exequi non prohibeo. Precibus autem in hoc solis et acclamotionibus uti eis non permitto. Etenim multo aequius est, si quis uolet accusare, te cognoscere de obiectis. Donc, si les provinciaux peuvent évidemment porter leur propre action contre les chrétiens, pour les mener devant le tribunal, je ne le leur défends pas. Mais poour cela, je ne permets pas qu’il n’utilisent que prières et acclamations. Car il est beaucoup plus équitable, si quelqu’un veut porter une accusation, que tu en connaisses l’objet.
εἴ τις οὖν κατηγορεῖ καὶ δείκνυσίν τι παρὰ τοὺς νόμους πράττοντας, οὕτως ὅριζε κατὰ τὴν δύναμιν τοῦ ἁμαρτήματος· ὡς μὰ τὸν Ἡρακλέα εἴ τις συκοφαντίας χάριν τοῦτο προτείνοι, διαλάμβανε ὑπὲρ τῆς δεινότητος καὶ φρόντιζε ὅπως ἂν ἐκδικήσειας». Cela étant, si quelqu’un les accuse et montre qu’ils ont fait quelque chose contre les lois, statue selon la gravité de la faute. Mais, par Hercule, si quelqu’un allègue cela par délation, retiens cette mauvaise action et aie soin qu’elle soit punie.
Si quis igitur accusat et probat aduersum leges quidquam agere, memoratos homines, pro merito peccatorum etiam supplicia statues. Illud mehercule magnopere curabis, ut si quis calumniae gratia quemquam horum postulauerit reum, in hunc pro sui nequitia suppliciis seuerioribus uindices. Si donc quelqu’un accuse et prouve qu’on enfreint les lois, impose aux hommes mentionnés des châtiments selon la gravité de leurs péchés. Mais, par Hercule! prends grand soin, si l’un d’eux accuse par esprit de calomnie, d’utiliser les châtiments les plus sévères à son encontre.
καὶ τὰ μὲν τῆς Ἁδριανοῦ ἀντιγραφῆς τοιαῦτα. Tel est le rescrit d’Hadrien.

Que penser de cette lettre du successeur de Trajan ? Pour les exégètes chrétiens, toujours persuadés des ségrégations et persécutions au Ier siècle (Claude, puis Néron), les premiers chrétiens posaient énormément de problèmes aux empereurs, et les gouverneurs de provinces s’inquiétaient d’une jurisprudence qui leur semblait assez sévère. Il se fait que les requêtes ont justement été envoyées à deux empereurs particulièrement appréciés : Trajan et Hadrien. Callewaert, déjà assez sceptique sur le deuxième, en relève un autre très semblable (p38), cette fois-ci par le successeur d’Hadrien (encore un «bon empereur» !), Antonin le Pieux (86-161, empereur en 161) :

Ὑπὲρ τῶν τοιούτων καὶ ἄλλοι τινὲς τῶν περὶ τὰς ἐπαρχίας ἡγεμόνων τῷ θειοτάτῳ μου πατρὶ ἔργαψαν, οἷς καὶ ἀντέγραψε μηδέν ἐνοχλεῖν τοῖς τοιούτοις, εἰ μὴ φαίνοιντό τι ἐπὶ τὴν ἡγεμονίαν Ῥωμαίων ἐρχειροῦντες. καὶ ἐμοὶ δὲ περὶ τῶν τοιούτων πολλοὶ ἐσήμαναν, οἷς δὴ καὶ ἀντέγραψα, τῇ τοῦ πατρός μου κατακολουθῶν γνώμῃ.
Super quibus plurimi ex provinciis judices etiam venerabili patri nostro scripserant. Quibus rescriptum est ab eo, ut nihil omnino molestiae hujuscemod hominibus generarent, nisi forte arguerentur aliquid adversum Romani regni statum moliri. Sed et mihi ipsi de his quam plurimi retulerunt, quibus ego paternam secutus sententiam pari moderatione rescrispi. (à réviser) Là-dessus même notre vénérable père avait enrôlé de très nombreux juges de province. Ce à quoi il écrivit qu’ils ne devraient causer aucune gêne à ces hommes, à moins qu’ils ne soient peut-être accusés par certains de travailler contre l’état du royaume romain. Mais eux-mêmes m’en ont aussi dit le plus possible sur ceux à qui, suivant l’avis de mon père, je récitais avec la même modération.
Εἰ δέ τις ἔχει πρός τινα τῶν τοιούτων πρᾶγμα καταφέρειν ὡς τοιούτου, ἐκεῖνος ὁ καταφερόμενος ἀπολελύσθω τοῦ ἐγκλήματος, κἂν φαίνηται τοιοῦτος ὤν, ἐκεῖνος δὲ ὁ καταφέρων ἔνοχος ἔσται τῇ δίκῃ.
Quod si quis persistit hujuscemodi hominibus absque ullo crimine movere negotia ille quidem, qui delatus pro hoc homine fuerit absolvatur, etiamsi probetur id esse, quod ei obicitur christianus. Is autem, qui crimen obtendit reus poenae ipsius quam objecit, existat. (à réviser) Mais si quelqu’un continue à proposer des affaires de ce genre à des hommes sans aucun crime, celui qui a été accusé au nom de cet homme doit être acquitté, même s’il peut être prouvé que celui qui est porté contre lui est un chrétien. Mais que celui qui allègue le crime soit coupable de la peine à laquelle il s’est opposé.

Dion de Pruse ou Dion Chrysostome (v40–v120)

Philosophe, orateur et historien dont 80 de ses discours ont été conservés. On n’y trouve pas la trace d’un Jésus, d’un Christ ou de chrétiens.

Phlégon de Tralles (Ier–II)

A écrit Les Olympiades, de la première à la 229e, soit de 776AÈC et 137ÈC, où il nomme les vainqueurs des Jeux et ce qui s’est passé entre ceux-ci : il aurait pu parler de Jésus, mais cette histoire est loin d’être complète. Il a également écrit des histoires de fantômes (Le livre des merveilles et une liste de centenaires romains.

Un site historiciste affirme que Jules l’Africain critique Thallus et cite Phlegon selon lequel «au temps de Tibère César, survint une éclipse de soleil durant la pleine lune». En fait, il n’y aurait eu aucune éclipse de soleil durant le règne de Ponce Pilate (26-36).

Photius écrit avoir lu l’œuvre jusqu’à la 177e olympiade (72-69AÈC), ce qui ne nous renseigne pas sur l’éclipse de la Pâque.

Florus / Lucius Annaeus (v70–v140)

Historien d’Afrique du Nord dont la vie est mal connue. On ne peut rien dire sur sa connaissance de Jésus et des chrétiens à partir de son Abrégé d’histoire romaine, qui s’arrête à Auguste, en 9ÈC et les autres œuvres qui lui sont attribuées sont incertaines.

Suétone (v70–ap.122)

A écrit la Des hommes illustres et la Vie des Douze Césars.

Au chapitre 25 de la Vie de Claude (qui a régné de 41 à 54), on y lit au milieu de règlements divers :

Iudaeos impulsore Chresto assidue tumultuantis Roma expulit Il chassa de la ville les Juifs qui se soulevaient sans cesse à l’instigation d’un certain Chrestus.

…parfois interprété comme la trace de premiers chrétiens. Chrestus n’était pas un nom rare, mais, sous sa forme grecque Chrestos, il pouvait également désigner le «Dieu bon» des gnostiques ou d’autres dieux comme Sérapis. On peut en outre expliquer le passage de Chrestos (Χρηστος) à Christos par la tendance à transformer certaines voyelles dont l’eta (η) en iota (ι, d’où «iotacisme» pour le nom du phénomène), à l’œuvre durant la période hellénistique. Christ ne viendrait alors pas de la traduction de «Messie», mais de «Bon».

Rien ne dit en tout cas qu’il s’agissait de Jésus, jamais censé être venu à Rome et supposé mort, ressuscité et élevé depuis quelques années, ni y être apparu selon la tradition chrétienne (sauf dans les Actes de Pierre, considéré comme apocryphe par les Églises. Suétone (tombé en disgrâce en 122) écrit sous Hadrien, empereur de 117 à 138. Il y a donc plus de soixante années de différence entre le fait et le souvenir. Il s’agissait peut-être de la croyance au Christ qui agitait des juifs chrétiens, mais pourquoi ne pas préciser que cela avait eu lieu en Palestine ? Il y a trop d’imprécision («un certain») pour se permettre d’affirmer quoi que ce soit dans un sens ou dans l’autre.

Par ailleurs, Josèphe ne parle pas de cette expulsion, et les Actes des Apôtres parle d’un édit de Claude qui ordonnait à tous les Juifs de s’éloigner de Rome (Actes 18:2).

Au chapitre 16, paragraphe 3 de sa Vie de Néron, il écrit :

Multa sub eo et animaduersa seuere et coercita nec minus instituta : adhibitus sumptibus modus; Sous son règne, beaucoup d’abus furent sévèrement réprimés et punis : beaucoup de règlements furent également établis pour les prévenir. Il mit des bornes au luxe.
publicae cenae ad sportulas redactae; Il réduisit les festins publics à de simples distributions de vivres.
interdictum ne quid in propinis cocti praeter legumina aut holera ueniret, cum antea nullum non obsonii genus proponeretur ; Il défendit de vendre dans les cabarets des mets cuits, à l’exception des légumes et du jardinage, tandis que, auparavant, on y servait tous les plats.
afflicti suppliciis Christiani, genus hominum superstitionis nouae ac maleficae; Il livra aux supplices les Chrétiens, race adonnée à une superstition nouvelle et coupable.
uetiti quadrigariorum lusus, quibus inueterata licentia passim uagantibus fallere ac furari per iocum ius erat; Il mit fin aux excès des coureurs de chars qui, profitant d’un ancien privilège, se faisaient un jeu de tromper et de voler, en courant de tous côtés.
pantomimorum factiones cum ipsis simul relegatae. Il exila tout à la fois les factions des pantomimes et les pantomimes eux-mêmes.

L’interpolation (insertion ultérieure) est assez évidente : la répression des chrétiens s’est glissée parmi une demi-douzaine de règlements de police, rendant le témoignage assez douteux. Par ailleurs, il ne devait plus y avoir beaucoup de Juifs à Rome, puisqu’ils en avaient été chassé par son prédécesseur Claude. On notera enfin que Suétone, qui écrivait vers 120, ne fait aucun rapport entre les supplices, non précisés, aux chrétiens et l’incendie de Rome en 64, tradition qui semble donc bien postérieure au règne de Néron.

Théon de Smyrne (v70–v135)

Mathématicien et astronome qui a tenté de calculer le volume du globe terrestre ; il n’avait pas vraiment l’occasion de parler de Jésus ni des chrétiens.

Rufus d’Éphèse (v80–v150)

Médecin, il n’avait pas de raison spéciale de parler de Jésus et des chrétiens.

Arrien (85–ap.146)

Sénateur et consul, auteur d’histoires et de traités militaires, fut aussi éditeur du stoïcien Épictète (50-v125). Il ne se passionnait peut-être pas pour les religions, mais Epictète aurait pu en parler.

Favorinus d’Arles (v90–v160)

Disciple de Dion Chrysostomos et peut-être d’Épictète, on doit à ce polygraphe la transmission de l’acte d’accusation du procès de Socrate. Son œuvre abondante, connue par bribes, est surtout morale ; il semble pourtant n’avoir parlé ni de Jésus, ni des chrétiens.

Appien d’Alexandrie (95–ap.161)

Auteur d’une Histoire de Rome, où il dit avoir fui Alexandrie en 116 lors de la révolte des Juifs, en oubliant de mentionner Jésus et les chrétiens.

Soranos d’Éphèse (déb. IIe)

Obstétricien pragmatique qui avait peu de raisons de parler de Jésus ou des chrétiens.

Claude Ptolémée (100–168)

Scientifique gréco-égyptien, mais qui semblait peu porté vers les sciences humaines : sa géographie est surtout descriptive.

Apulée (125–ap.170)

Écrivain et philosophe platonicien initié aux mystères, qui a écrit sur Platon et Socrate, sur la religion et la cosmogonie polythéiste, mais son œuvre ne comporte pas de propos concernant la religion chrétienne, alors qu’il a par exemple parlé d’Apollonios de Tyane.

Lucien de Samosate (v120–180)

Auteur satirique. Il a écrit Alexandre ou le faux devin, l’histoire d’un prophète connaissant toutes les simagrées d’Apollonius (§9) et qui s’en prend aux épicuriens et aux chrétiens.

Confronté à ces critiques, il s’essaya alors à manier l’épouvantail de l’intimidation : à l’en croire, le Pont était infecté d’athées et de Chrétiens, assez insolents pour dégoiser les pires insanités à son égard ; ses auditeurs désireux d’avoir la cote auprès du dieu étaient invités à les ensevelir sous les cailloux. (§25)

Toujours en hors-d’oeuvre, cet avertissement était immédiatement prolongé par une cérémonie d’éviction, qu’il enclenchait au cri de : «Les Chrétiens, dehors !», tandis que le troupeau faisait chorus en écho : «Les Épicuriens, dehors !» (§38)

Il semble donc qu’il faille attendre la seconde moitié du second siècle pour que l’on évoque les chrétiens, sans nommer Jésus ou Christ, alors que Lucien mentionne une fois Apollonius et plusieurs fois Épicure (§17, §25, §43, §47 et §61).

Il a également écrit, sur un ton sarcastique, La Mort de Pérégrinos, un aventurier (v95-165) capable de devenir prophète sans même vraiment connaître la religion de ses ouailles. Les chrétiens sont ici plus centraux, et la source de la nouvelle croyance évoquée, encore une fois sans «Jésus» ni «Christ» :

C’est à cette époque qu’il décida de s’imprégner des préceptes de l’admirable religion des chrétiens : il se rendit alors en Palestine et se mêla à leurs prêtres et à leurs scribouilleurs. Que te dire de plus, sinon que ce sinistre individu leur reprocha d’être passablement infantiles. Très vite, il en fit d’obéissants écoliers, se proclama leur prophète, leur thiasarque, leur chef de synagogue [4], bref, il s’octroya tous les pouvoirs, se proposant d’analyser leurs livres saints, les décortiquant à satiété, rajoutant même des textes de son cru. Tant et si bien que les chrétiens le regardèrent comme un pontife ; il finit même par se hausser au niveau de celui que l’on avait adoré en Palestine et qui subit là-bas le supplice de la croix, coupable, aux yeux de ses semblables, d’avoir inventé de nouveaux mystères pour l’humanité. (§11)

[…] Quand il fut jeté en prison, les chrétiens, émus par cette personnalité à nulle autre pareille, se mirent en quatre pour l’aider à s’évader. Mais ce fut en vain. Ses condisciples se contentèrent de lui témoigner mille hommages. Ainsi, dès l’aube, on voyait déambuler autour de sa prison un essaim de vieilles femmes, de veuves et d’orphelins. Le gratin de la secte parvenait même à partager sa cellule, après avoir graissé la patte de ses geôliers. Grâce à leur dévouement sans limite, notre faux prophète, tout en savourant de fins repas, eut le temps de s’imprégner de leurs textes sacrés. C’est alors que Pérégrinos dit le vertueux – épithète qu’il s’était lui-même attribuée – fut appelé par les chrétiens «nouveau Socrate» ! (§12)

Finalement libéré, il quitta la Palestine et le christianisme pour se tourner vers la philosophie cynique. Il décida enfin de s’immoler sur le bûcher aux Jeux olympiques de 165 (Lucien semble avoir écrit le texte juste après). Il aurait eu pour disciple Aulu-Gelle, beaucoup plus positif à son égard, mais qui ne précisa pas qu’il avait été chrétien.

Pausanias le Périégète (v115–v180)

Voyageur ayant voyagé en Grèce, en Asie, en Afrique du nord et en Italie en se documentant avant de se fixer à Rome. Décrivant les contrées traversées, dont les mythes, il serait selon WP un témoin de première importance de la Rome du IIe. Il aurait dû entendre parler des chrétiens.

Aulu-Gelle (v125–ap.180)

Compose des conversations entre hommes célèbres et cite 275 auteurs latins et grecs dans ses Nuits attiques, mais en oubliant Jésus ou les pères apostoliques : Clément, Ignace, Hermas, Papias, Polycarpe… Séjournant de 150 à 160 à Athènes, il a rencontré Pérégrinos Protée, philosophe cynique moqué par Lucien, et en parle de façon plus positive :

J’ai connu à Athènes le philosophe Pérégrinus que l’on surnomma dans la suite Protée : c’était un de ces hommes aux mœurs graves, à l’âme constante. Il habitait une chaumière hors des murs d’Athènes ; j’allais souvent le visiter, car ses entretiens étaient pleins de noblesse et d’utilité. Mais ce que j’ai recueilli de plus remarquable de sa bouche, le voici : «Il disait que le sage ne pécherait pas, même avec la certitude que sa faute serait ignorée des hommes et des dieux. L’homme, selon lui, devrait être retenu, non par la crainte du châtiment ou de l’infamie, mais par l’amour du juste et de l’honnête, par le sentiment du devoir.» Nuits attiques (XII, 11)

…tout en ne mentionnant pas, contrairement à Lucien, qu’il était en Palestine dans sa jeunesse ni qu’il fut chrétien avant de devenir philosophe, ni qu’il s’est immolé par le feu.

Maxime de Tyr (v125–v185)

Philosophe platonicien installé à Rome à la fin de sa vie. Il croyait à un dieu suprême, sans parler de Jésus ni des chrétiens.

Dion Cassius (155–ap.235)

Proche des empereurs, il fut fut attaché à plusieurs fonctions dont celle de consul. Il a écrit 80 livres d’Histoire romaine, de la naissance de Rome (fixée à ~753) à Alexandre Sévère (229). Il n’en reste de complets que ceux concernant de ~68 à 54, mais il ne semble pas avoir parlé de Jésus ni des chrétiens.

Conclusion (provisoire)

Beaucoup de ces auteur ayant écrit aux premiers siècles de notre ère n’avaient probablement pas beaucoup de raison a priori de parler d’un Jésus ou d’un christ ; mais si celui avait existé, ils auraient peut-être délaissé leur travaux habituels pour consacrer quelques lignes à ce personnage extraordinaire. Plus curieusement, il faut attendre le IIe siècle pour entendre parler des chrétiens de façon sûre. Il est donc probable, sauf si l’on s’accroche à l’hypothèse de la censure romaine, que le phénomène n’a commencé à devenir un peu visible qu’un siècle après la résurrection.

Autres candidats…

Aelius Theon - Albinus - Alcinous - Ammonius of Athens - Alexander of Aegae - Antipater of Thessalonica - Antonius Polemo - Apollonius Dyscolus - Archigenes - Aretaeus - Asclepiades of Prusa - Asconius - Aspasius - Atilicinus - Attalus - C. Cassius Longinus - Calvisius Taurus of Berytus - Chaeremon of Alexandria - Claudius Agathemerus - Cn. Cornelius Lentulus Gaetulicus - Cornelius Celsus - Cornutus - D. Haterius Agrippa - D. Valerius Asiaticus - Demetrius - Demonax - Demosthenes Philalethes - Domitius Afer - Erotianus - Euphrates of Tyre - Fronto - Gordius of Tyana - Gnaeus Domitius - Halicarnassensis Dionysius II - Heron of Alexandria - Lesbonax of Mytilene - M. Antonius Pallas - ?M. Vinicius - Macro - Mam. Aemilius Scaurus - Marcellus Sidetes - «Mishnah» - Moderatus of Gades - Musonius - Nicarchus - Nicomachus Gerasenus - P. Clodius Thrasea Paetus - Palaemon - Pedacus Dioscorides - Plotin (205-270) - ?Pompeius Saturninus - Potamon of Mytilene - Ptolemy of Mauretania - ?Saleius Bassus - Scopelian the Sophist - Sex. Afranius Burrus - Sex. Julius Frontinus - Sernilius Damocrates - Soterides of Epidaurus - «Talmud» - T. Aristo - T. Statulius Crito - Thrasyllus of Mendes - Ti. Claudius Pasion - Ti. Julius Alexander - ?Verginius Flavus