Les deux catégories du paranormal

ASTROLOGIE, cartomancie, chiromancie, géobiologie, horoscope, kabbale, magnétisme, numérologie, poltergeist, radiesthésie, réincarnation, rhabdomancie, sorcellerie, spiritisme, tarots, télékinésie, télépathie, ufologie, voyance… Si le terme «paranormal» semble recouvrir un ensemble hétéroclite de pratiques que l'on définit le plus souvent par la négative, trouver une ou plusieurs définition(s) opérationnelle(s) ne semble pas une tâche impossible.

Le texte qui suit est le second chapitre du mémoire de fin d'études de sciences sociales L'interprétation de l'action chez les personnes «croyant au paranormal» ainsi que leurs rapports à la modernité, qui a été défendu en septembre 1999 à l'Université Libre de Bruxelles.

1. La nébuleuse «paranormal»

Il n'est pas habituel pour les personnes «croyant au paranormal» d'utiliser le mot «paranormal». Lors de la visite de librairies bruxelloises spécialisées, un patron a précisé qu'il s'agissait d'une librairie ésotérique, faisant fi de la remarque que l'astrologie pouvait être considérée exotérique puisqu'on en parle dans beaucoup de magazines féminins ou autres. Le vendeur d'un autre magasin m'a dit qu'on y trouvait de l'ésotérisme, mais aussi de la philosophie et de la religion, de la médecine et du «mieux-être», ce qui était facile à constater. J'ai même remarqué dans deux librairies quelques ouvrages de vulgarisation scientifique tout à fait honorables, dépassant la vision quelquefois très poétique d'Hubert REEVES.

Parmi les livres d'auteurs plutôt favorables au paranormal utilisant le vocable, notons un Almanach du paranormal, dans lequel le journaliste Jean-Pierre DELOUX (1998) propose une compilation d'histoires étranges, sous forme d'un calendrier proposant un «fait» par jour.

Dans un registre moins anecdotique, signalons aussi deux livres généralistes. Le premier, Expliquer le paranormal : les niveaux du mental du psychiatre Philippe WALLON (1996), condensé sous le numéro 3424 Le paranormal (1999) de la collection «Que-sais-je ?», examine cette catégorie

(…) au travers d'une division classique, qui sépare les perceptions extrasensorielles (…) que sont la télépathie, la voyance et les visions d'une part, le dédoublement (…) d'autre part, et enfin la psychokinèse et les poltergeist (les «esprits frappeurs»), regroupés sous le vocable de PK (de «psycho-Kinesis») (WALLON 1999:7).

Dans le deuxième livre, Les phénomènes paranormaux (1996), Yves LIGNON parle de perceptions, magnétisme, apparitions, envoûtements, spiritisme, voyance et télépathie mais à peine d'astrologie, et condamne la numérologie. Il précise en outre que «Des cas aussi spécifiques que ceux des OVNI ou des animaux mystérieux sont (…) volontairement écartés» (LIGNON 1996:3).

Du côté des sceptiques, l'astronome Jean-Claude PECKER propose une définition dans l'avant-propos du dossier Le débat sur le paranormal (PECKER et al. 1997) :

Qu'est-ce que le «paranormal» ? Ce qui, par définition, n'est pas «normal»… : c'est l'ensemble de tous les faits supposés, de tous les mécanismes, de toutes les techniques, de toutes les croyances en contradiction flagrante avec les faits avérés par l'expérience scientifique depuis des siècles au prix des efforts de milliers de savants (PECKER et al. 1997:3).

Cette définition du paranormal comme l'envers de la science nous montre que certains scientifiques tiennent à dénoncer ce qu'ils appellent souvent des fausses sciences, mais elle ne sera pas contributive à notre propos.

Plutôt que de le définir dans son livre Le paranormal (1985), le biologiste Henri BROCH préfère en présenter quelques cas, qu'il réfute, et de les rallier «[aux] cultes de la déraison et tout ce qui, de manière générale, peut être recouvert par l'étiquette "paranormal"» (BROCH 1985:163).

Les sociologues…

Les quelques sociologues qui se sont penchés sur le domaine utilisent rarement ce terme, ou à leur façon : Daniel BOY et Guy MICHELAT utilisent le mot «parasciences» pour regrouper psycho-astrologie et astrologie prédictive, et «paranormal» pour regrouper envoûtement, tables tournantes, fantômes, télépathie (BOY, MICHELAT 1986:177) ; Gérard CHEVALIER préférant parler, pour à peu près toutes les pratiques, de la notion d'«occultisme» (CHEVALIER 1986:205).

Jean-Claude RUANO-BORBALAN (1995:28) semble ne pas distinguer les termes «paranormal» et «parasciences», tandis que Gérard CHEVALIER et Jean-Bruno RENARD utilisent le terme «parascience» dans une acception très précise, sur laquelle nous reviendrons.

Un premier travail de clarification qui semble nécessaire sera de donner une définition opérationnelle de ce qu'est le paranormal, et, puisque ce concept rassemble beaucoup de pratiques d'essences différentes, d'en distinguer les catégories. La plupart des auteurs cités, favorables ou non, nous y aideront.

Une éclaircie

Dans son livre Pseudosciences and the Paranormal, le psychologue Terence M. HINES (1988:7) met le doigt sur une distinction nette entre deux tendances du paranormal :

Ce qui différencie le paranormal des autres pseudo-sciences est la confiance en l'explication, pour les prétendus phénomènes, qui se situe bien en dehors des limites de la science établie. Ainsi, les phénomènes paranormaux incluent : la perception extrasensorielle (PES), la télékinésie, les fantômes, les poltergeists, la vie après la mort, la réincarnation, la guérison par la foi, les auras humaines, et ainsi de suite. Les explications pour tous ces phénomènes sont décrites en termes vagues de «forces psychiques», de «champs d'énergie humaine», etc. Ceci est en contraste avec beaucoup d'explications pseudo-scientifiques pour d'autres phénomènes non paranormaux, qui, bien qu'elles procèdent d'une très mauvaise science, sont cependant rédigées en termes scientifiques acceptables.

Cette définition est édifiante dans le sens où elle dichotomise une constellation de croyances et de pratiques disparates. Nous aurions donc d'un côté «les phénomènes paranormaux mettant en œuvre des forces psychiques», et de l'autre «les pratiques faisant appel à des explications pseudo-scientifiques». À côté des exemples que HINES donne de ce qu'il appelle «paranormal», il nous restera cependant à imaginer quels sont les disciplines qualifiées «pseudosciences».

2. Les phénomènes paranormaux mettant en œuvre des forces psychiques

Pour le Petit Robert, paranormal est ce «Qui n'est pas explicable par les données et les lois normales, dans le domaine considéré» (ROBERT 1993:1584). La définition renvoie plus loin à parapsychique, qui «Se dit des phénomènes psychiques inexpliqués (clairvoyance, précognition, psychokinésie, télépathie, etc.)» (ROBERT 1993:1584). D'autre part, la parapsychologie est l'«Étude des phénomènes parapsychiques» (ROBERT 1993:1584).

Nous voyons que ces phénomènes sont déjà regroupés ici dans une catégorie appelée «phénomènes parapsychiques», dont l'étude est la parapsychologie. En cherchant d'autres précisions dans un autre ouvrage de lexicographie, Le dictionnaire analogique de G. NIOBEY (1997) chez Larousse, nous trouvons à l'article «Psychologie» :

Parapsychologie (étude ayant pour objet les phénomènes métapsychiques, qui dépassent les capacités du psychisme normal : télépathie, voyance, prophétie, occultisme, spiritisme, théosophie) (NIOBEY 1997:581).

La parapsychologie semble donc être la science des phénomènes inexpliqués de l'esprit, ou dépassant les capacités du psychisme normal.

Selon le psychologue Jean DIERKENS, favorable à la parapsychologie,

Le terme «parapsychologie» n'est que l'un des nombreux vocables qui servirent à recouvrir un ensemble de phénomènes (…) se situant en marge, à côté, aux confins, en dehors du connu, du «normal» (DIERKENS 1978:15).

Cette définition insiste également sur l'ensemble de phénomènes. Philippe WALLON donne une liste plus complète et attribue une caractéristique théorique (la synchronicité) à cet ensemble de phénomènes, qu'il continue à appeler «paranormaux», en excluant ovnis et astrologie, d'ordre matériel :

J'adopterai une délimitation largement reconnue (cf. BROUGHTON, 1995:57), qui recouvre le champ de la «synchronicité», chère à Jung. Seraient paranormales les observations qui relient une pensée et un fait, par le moyen d'une signification : la voyance, la télépathie, les visions, le dédoublement, la psychokinèse et les poltergeist (les «esprits frappeurs»), les guérisons miraculeuses, etc. À l'inverse, on exclut ce qui serait d'ordre matériel ou ce qui ne relierait que des événements matériels : les «soucoupes volantes», l'astrologie… (WALLON 1999:8).

Pour J.B. RHINE, cité comme principal théoricien et expérimentateur contemporain par Charles-Henri FAVROD,

la parapsychologie est une branche de la science qui étudie les facultés grâce auxquelles un être humain (ou même un animal) peut prendre contact avec le monde environnant sans l'intermédiaire de ses sens ou de ses muscles (FAVROD 1976:142)

Ce terme recouvrirait magnétisme, spiritisme, télépathie, matérialisation, hantise, perception extrasensorielle et psychokinèse (FAVROD 1976:142-143). RHINE précise encore la définition en assimilant ces phénomènes à des facultés psychiques. Charles-Henri FAVROD poursuit :

Pour RHINE, le psi est extra-physique : il n'est limité ni par l'espace, ni par le temps (FAVROD 1976:142).

Si presque tout le monde semble d'accord pour regrouper voyance, télépathie, spiritisme et leurs dérivés dans la même catégorie, les auteurs adhérant à la réalité de ces phénomènes vont plus loin en formulant des hypothèses : celle du psi, un fluide extra-physique limité ni par le temps ni par l'espace, et celle de la synchronicité, qui relie pensée et fait par une signification.

Enfin considérons une caractéristique qu'Henri BROCH nous donne à propos du concept général «paranormal» :

Un des leitmotive, sinon le leitmotiv, du paranormal consiste à déclarer que des «forces» peuvent être mises en valeur par certains individus ou que quelques individus ont «obtenu» l'accès à une connaissance secrète (BROCH 1985:164).

Nous retiendrons de l'élitisme pointé par Henri BROCH plutôt le côté individuel des pouvoirs parapsychiques que l'aspect élitiste de l'ésotérisme.

Nous laisserons le terme paranormal pour la définition plus vaste, et choisirons «phénomènes parapsychiques» pour les phénomènes énoncés plus haut, utilisant une sensibilité ou des forces psychiques particulières.

Si nous voyons émerger une catégorie assez homogène regroupant les pouvoirs psychiques inexpliqués, voyons comment nous pourrions opérer un regroupement pour le reste.

3. Les pratiques faisant appel à des explications pseudo-scientifiques

Dans l'article «Parasciences et Procédés de légitimation» (1986), Gérard CHEVALIER critique d'emblée la notion floue de parascience :

Astrologie, parapsychologie, radiesthésie, géobiologie, la notion de parascience est un terme commode pour désigner un ensemble composite de pratiques et de doctrines rejetées par les confessions dominantes et la science officielle. Néologisme instable qui voudrait faire oublier les limites institutionnelles de la pratique scientifique, elle évoque une zone imprécise entre savoir et croyance. Circonscrire cette nébuleuse suppose d'abandonner la catégorie-écran de parascience et de revenir à la notion sous-jacente d'occultisme (CHEVALIER 1986:205).

Il cite Robert AMADOU qui pose, d'après Swedenborg, que

«Tout objet appartient à un ensemble unique et possède avec tout autre élément de cet ensemble des rapports nécessaires, intentionnels, non temporels et non spatiaux (AMADOU 1950)» (CHEVALIER 1986:205).

Gérard CHEVALIER précise la catégorie décriée :

Apparaissent comme parasciences toutes les doctrines liées à l'occultisme, rejetées par les sciences officielles mais revendiquant le statut de sciences ou recherchant une légitimité par les sciences (CHEVALIER 1986:206).

Si Gérard CHEVALIER a basé son étude sur l'astrologie, Jean-Bruno RENARD, étudiant les biorythmes, arrive aussi à la constatation que

l'importance acquise par les sciences fait que de nombreuses croyances leur empruntent aujourd'hui leurs apparences pour mieux convaincre (RENARD 1995:30).

Voilà donc deux parasciences, astrologie et biorythmes, qui feraient pendant au «paranormal» (que nous appelons maintenant les «phénomènes parapsychiques») défini ci-dessus par HINES. Les parasciences ne se baseraient pas sur la sensibilité supra-humaine mais plutôt sur un corpus, une tradition ou une accumulation de connaissances.

On pourrait donc a priori englober dans cette catégorie : astrologie, biorythmes, numérologie, morphopsychologie, chiromancie, géobiologie…

4. Une dichotomie

Nous regrouperons donc sous le nom de «phénomènes parapsychiques» tous les phénomènes de perception ou d'influence extrasensorielle, c'est-à-dire sans support physique connu, comme la télépathie, la télékinésie, le magnétisme animal, la voyance, la vision de l'aura… Nous y ajouterons la radiesthésie, basée sur la sensation des ondes et qui nécessite une certaine sensibilité que tout le monde ne semble pas posséder.

Les auteurs incluent souvent la communication avec les esprits, la vision des fantômes, la réincarnation ou les états proches de la mort, ce qui implique un principe spirituel, une âme survivant au corps.

Si nous avons vu que des auteurs défendant la parapsychologie essayaient de donner une théorie générale, les phénomènes qui en font partie font peu appel à des explications de type scientifique. Ils sont d'autre part de l'ordre des pouvoirs personnels (la littérature parle même de «sujets» psi), ce qui n'exclut pas que l'on puisse développer ces dons. Ils appartiennent donc à certains individus. Un phénomène est parapsychique s'il suppose des pouvoirs personnels et en appelle aux sensations personnelles pour la validation du phénomène.

L'adhésion à la réalité des phénomènes se baserait sur une confiance en la capacité de l'esprit humain. De là, nous pouvons en inférer que la croyance aux phénomènes parapsychiques serait plutôt globale.

La télépathie pourrait être idealtypique de ces phénomènes parapsychiques : elle est sensation pure de l'esprit humain, sans support matériel. Elle est aussi bien connue, et il est commun d'évoquer la «transmission de pensée» lorsque deux personnes se rendent compte qu'elles ont eu la même idée en même temps.

D'autre part, nous appellerons «parasciences» les pratiques ayant un corpus d'explications plus développé sur des phénomènes qui agissent en extériorité : astrologie, biorythmes, numérologie, chiromancie, cartomancie, géobiologie…

Pour l'astrologie, c'est l'état du ciel au moment de la naissance qui influence l'être humain sa vie durant. Pour les biorythmes, c'est à ce même moment que démarrent les cycles qui rythment les aptitudes des individus. En numérologie, c'est encore la date de naissance, mais aussi le nom reçu, qui octroie un chiffre qui détermine la personnalité ou le destin de celui qui le porte.

Certaines disciplines sont a priori proches d'une explication scientifique, les mêmes gènes gouvernant l'édification du corps et du caractère (morphopsychologie). Les calculs, les typologies, les tableaux… couramment exposés confère à ces disciplines une aura de scientificité.

L'extériorité des phénomènes qui permettraient de fonder la chiromancie est moins immédiate ; la conviction que tout est en relation, comme le pensait Swedenborg, permet de lier destin et lignes de la main.

Ce qui caractérise aussi ces disciplines, c'est que les pouvoirs personnels n'y apparaissent pas importants. Cette extériorité, basée sur une tradition, un corpus de savoirs constitués, leur permet de réclamer un statut proche de celui des sciences académiques. Elles peuvent proposer une explication des choses. Elles postulent éventuellement de nouveaux principes physiques, encore à découvrir, ou extrapolent certains principes reconnus par les sciences académiques.

Pour résumer, une discipline sera parascientifique si elle a des ambitions constatives, fait appel à des explications de type scientifique mais sans utiliser de méthode scientifique pour l'administration de la preuve.

L'astrologie est un bon représentant de parascience : il existe un corpus important, ses ambitions constatives sont très grandes, et jusqu'à présent, aucune preuve ne semble avoir étayé la très longue tradition. De plus, elle est quasi universellement connue, car nombre d'entre nous connaissent leur signe astrologique, voire son ascendant, même sans y croire.

Le paranormal est donc constitué des phénomènes parapsychiques et des parasciences. Si des auteurs utilisent la catégorie paranormal dans une autre acception, le terme sera entouré de guillemets.

5. Confirmations statistiques de ces deux catégories

Dans un article qui n'est pas tout récent, «Croyance aux parasciences : dimensions sociales et culturelles» (1986:175-204), Daniel BOY et Guy MICHELAT nous offrent une étude chiffrée à partir d'un sondage de mai 1982 sur 1515 individus.

Les auteurs ont regroupé sous le label «Astrologie» les deux parasciences horoscopes et psycho-astrologie, rassemblant donc une mancie et une psychologie. Le «paranormal» regroupe la croyance aux fantômes, les tables tournantes, la sorcellerie et la plus moderne télépathie. On retrouve empiriquement la différence entre «parasciences» et les «phénomènes parapsychologiques» tels que définis précédemment, malgré l'aspect composite de leur catégorie «paranormal».

Ils légitiment ces deux regroupements par une mesure de proximité entre ces croyances : le coefficient d'homogénéité de LOEVINGER, considéré comme significatif lorsqu'il dépasse .50. Voici la matrice des coefficients dépassant .35 :

AstroTablesEnvoût.FantômTélépatRhabdOVNI
Horoscopes.67
Psycho-astrologie.42.39.39
Tables tournantes.51.51.66
Envoûtements.78.59
Fantômes.73.44
Télépathie.37
Rhabdomancie

Il apparaît une grande proximité d'une part de l'astromancie et l'astropsychologie, et d'autres part des phénomènes de tables tournantes, d'envoûtement, des fantômes et de la télépathie, soit le domaine de l'esprit et des esprits.

Quatre variables sont ensuite examinées en fontion des croyances : le genre, l'âge, le niveau d'études et la catégorie socioprofessionnelle. Cette étude a été réactualisée par Guy MICHELAT en 1993 et a paru dans Le Débat n°75, et c'est sur cette étude que nous nous baserons pour évaluer nos catégories. Les chiffres sont nettement plus faciles à lire, puisqu'ils sont donnés sous forme de tableaux plutôt que de graphiques bivariés. Les pourcentages sont plus faibles, mais tout à fait comparables pour ce qui nous occupe. Voyons ce que cela recouvre concernant les deux catégories pour l'étude de 1993.

L'échelle «astrologie» admet la croyance à l'explication des caractères par l'astrologie et les prédictions astrologiques, le fait d'en tenir compte dans sa vie et la conviction que l'astrologie est une science. Quant à l'échelle «paranormal», elle comprend la croyance aux fantômes, aux tables tournantes, aux envoûtements, à la télépathie, la conviction que la science admettra la réalité des maisons hantées et que les esprits des morts peuvent communiquer avec les vivants (MICHELAT 1993:92-93).

Comme ces deux «échelles» correspondent chacune grosso modo à une partie de nos deux catégories, il est possible de comparer les interprétations de l'auteur à celles que nous pouvons tirer à partir de nos catégories :

Astro«Para»Rapport
Hommes24%28%0.86
Femmes38%34%1.12
18-24 ans27%42%0.64
25-39 ans29%38%0.76
40-54 ans33%31%1.06
55-64 ans33%27%1.22
+ de 65 ans29%20%1.45

Les femmes croient plus fréquemment au paranormal et surtout à l'astrologie. Là aussi, il existe plusieurs interprétations possibles : il se peut, par exemple, que dans nos sociétés, les femmes aient en règle générale moins de prise que les hommes sur leur propre destin social, professionnel et familial, et que cette situation génère davantage d'inquiétude. La croyance astrologique, en particulier, pourrait avoir pour fonction de réduire cette incertitude en proposant des prédictions et des interprétations du destin personnel (MICHELAT 1993:93).

Nous adopterons l'interprétation concernant l'astrologie, boussole destinée à réduire l'incertitude, plus spécialement chez les femmes, mais nous ne l'étendrons pas au «paranormal», car la télépathie, en tant que phénomène parapsychique, serait plus investie par une catégorie sociale confiante en elle, c'est-à-dire les hommes si l'on considère le genre. Et nous voyons que si les femmes font plutôt confiance à l'astrologie qu'au «paranormal», les hommes croient plus au «paranormal» qu'à l'astrologie.

Afin de marquer la tendance d'une catégorie sociale à opter plutôt pour l'une ou l'autre des deux «échelles», nous avons ajouté le rapport astrologie/«paranormal», indice simple pour appréhender une structure de croyance. On voit que si les femmes sont plus croyantes que les hommes en regard des deux «échelles», les hommes ont une préférence pour la catégorie «paranormal» (rapport inférieur à 1), les femmes, pour la catégorie «astrologie» (rapport supérieur à 1).

Pour l'auteur, les raisons de ce que les jeunes sont plus enclins à croire à ce qu'il appelle les «parasciences» (donc, pour nous, tout le paranormal) sont multiples : la nouveauté, une déstructuration idéologique et sociale, l'arrivée «dans la vie adulte au moment où la société entière a perdu ses repères habituels» (MICHELAT 1993:94).

En observant notre indice, nous voyons que contrairement à leurs aînés, les jeunes croient plus au «paranormal» qu'à l'astrologie. On pourrait en conclure que le «paranormal» appartient à la culture de l'époque et touche donc davantage les jeunes. Mais les médias répandant à tous les âges cette culture, on peut se tourner vers une explication voyant les jeunes dotés d'une vision plus conquérante des choses, ou moins attachée au paranormal traditionnel (l'astrologie), pour laquelle l'écart entre classes d'âge n'est pas très net.

Mais le refus des étiquettes (les signes astrologiques) ou la défiance envers un destin encombrant (l'horoscope) n'amène probablement pas prioritairement les jeunes à croire à l'astrologie. Le désir de se réaliser, de se lancer dans la vie, de conquérir sa place, d'explorer ses propres possibilités, de penser que rien n'est impossible peut expliquer la régularité de la croyance au «paranormal» en parallèle avec la jeunesse.

Astro«Para»Rapport
Primaire28%24%1.17
Interm.38%37%1.03
Baccal.27%33%0.82
Sup. non sc.26%29%0.90
Sup. scient.18%34%0.53

Si Guy MICHELAT impute à un effet de génération (tableau ci-contre) le fait que les détenteurs de petits diplômes croient le moins au «paranormal» (MICHELAT 1993:94), nous pouvons imaginer, en restant dans notre idée de culture dominante, que les détenteurs de diplômes élevés sont plus sensibles aux croyances parapsychiques que parascientifiques.

Notons que si les «diplômes supérieurs» croient moins que les autres catégories, le supérieur scientifique est néanmoins très «paranormal», non seulement dans sa structure de croyance, mais aussi de façon absolue, alors qu'il est le moins croyant en astrologie. Nous pouvons y voir un indice de ce que les scientifiques se rendent bien compte que la méthode ou les justifications théoriques de ce que nous appelons parasciences ne sont pas très valides, mais le surinvestissement dans le «paranormal», qui ne semble pas se retrouver chez les diplômés du supérieur non scientifique, ne semble pas très bien s'expliquer. S'agirait-il d'un investissement de compensation ?

Le fait que le niveau d'études ne protège pas de la croyance a été analysé par Raymond BOUDON dans L'art de se persuader des idées fausses, fragiles et douteuses (BOUDON 1990). Pour lui, la science n'est pas contradictoire avec la montée du paranormal (au sens large) :

Les répondants de niveau d'instruction élevé arrivent plus facilement à des considérations telles que : «Pourquoi le progrès de la connaissance n'aboutirait-il pas à une acceptation de l'idée d'action psychique à distance, tout comme il a pu conduire à une intégration dans le corpus scientifique de la notion d'action physique à distance ?». Bref, il est vraisemblable que sur certains sujets, les répondants de niveau d'éducation élevée peuvent avoir de bonnes raisons d'être moins sceptiques ou moins critiques sur certains sujets que ceux dont la familiarité avec l'histoire des sciences est moindre (BOUDON 1990:398).

Astro«Para»Rapport
Agriculteurs22%14%1.57
Comm, artisans37%28%1.42
Prof. interm.28%27%1.04
Employés38%37%1.03
Ouvriers26%27%0.96
Cadres sup.25%33%0.76
Étudiants27%39%0.69
Enseignants16%30%0.53

Nous considérerons d'autre part la régularité des indices de structure de croyance selon les professions : les agriculteurs (pourtant très peu croyants), les commerçants et les artisans, dont les revenus fluctuent, adhèrent davantage à l'astrologie qu'au «paranormal», comme si une parascience pouvait réduire l'inquiétude selon l'interprétation de MICHELAT (voir supra). Les cadres supérieurs et enseignants, au contraire, investissent davantage le «paranormal», comme si l'idée de pouvoirs parapsychiques allait de pair avec la confiance en leurs capacités intellectuelles. Les étudiants retrouvent des chiffres semblables à ceux de la catégorie des moins de 25 ans.

Dans l'étude de 1993 apparaissent deux autres tableaux de la distribution des croyances, selon la situation conjugale et le risque de chômage, mais ces chiffres reflètent surtout l'effet de l'âge : les veufs (souvent plus âgés) croient plus à l'astrologie, les célibataires isolés et les personnes vivant maritalement (probablement plus jeunes) ont une préférence pour le «paranormal». De la même manière, les plus exposés au risque de chômage croient bien plus au «paranormal» qu'à l'astrologie.

Le fait que l'auteur retrouve dans l'étude de 1993 les mêmes regroupements que dans l'étude de 1986 est encourageant. Il semblerait qu'au niveau de l'«échelle» «paranormal», il y ait une grande proximité entre les phénomènes en rapport avec deux types d'esprit : celui mettant en communication les esprits «principes de la vie psychique» (télépathie) ou ces derniers avec les esprits «êtres immatériels» (tables tournantes et vision de fantômes).

Par ailleurs, les deux «échelles» de Guy MICHELAT contenaient justement la parascience et le phénomène parapsychologique qui semblent les plus représentatifs de chaque catégorie : l'astrologie et la télépathie.

Enfin, nos deux catégories et leurs attributs nous permettent de nuancer, préciser ou compléter les interprétations de l'auteur.

6. Limites et limitations à l'intérieur des deux catégories

Des disciplines comme la cartomancie ou la géobiologie occupent une position moins tranchée que les autres : disposant d'un corpus et d'une tradition importance (la cartomancie) ou d'explications à ambitions scientifiques (la géobiologie), nous aurions tendance à la classer dans les parasciences, mais le tirage est réalisé intuitivement par l'individu (cartomancie) ou utilise le pendule ou une «antenne de Lecher» tenus en mains par les géobiologistes.

De même, la voyance, phénomène parapsychique, implique une vision relativement déterministe du monde, ou alors doit admettre que le fait de voir et de transmettre une information du futur puisse annuler cette information.

Cette séparation du paranormal en phénomènes parapsychiques et parasciences pourrait également se retrouver au niveau des pratiques médicales parallèles, classant l'homéopathie parmi les parasciences, et le magnétisme, la guérison par la foi, parmi les phénomènes parapsychiques. Nous n'approcherons pas ces disciplines plus spécifiques qui méritent un traitement séparé, étant donné que s'y ajoute l'action contre la souffrance, contre la mort… ce qui dépasse le problème des capacités humaines et de l'explication du monde.

Il nous semblait également qu'il valait mieux ne pas tenir en compte les croyances proches des grandes questions indécidables : survie d'une âme après la mort, existence d'esprits ou élémentaux, esprits de la nature semi-intelligents, esprit universel, réincarnation… Mais les études de Daniel BOY et Guy MICHELAT nous ont suggéré de les intégrer, tandis que les personnes interviewées nous les ont imposées.

7. «Croire» : une définition

La définition première de croire, selon Robert, est «Tenir pour véritable, donner une adhésion de principe à» (ROBERT 1982:427), ou «Tenir pour vrai ou véritable» (ROBERT 1993:514), mais les deux versions admettent aussi «Tenir pour réel, vraisemblable ou possible» (ROBERT 1982:427, 1993:514).

Dans le premier article du dossier Les mécanismes de la croyance du magazine Sciences Humaines n°53, Nicolas JOURNET, conscient de la difficulté de donner une définition du verbe «croire» et du mot «croyance», commence par citer le Dictionnaire de Philo d'Armand Colin :

une attitude de l'esprit qui affirme quelque chose sans pouvoir en donner de preuve, avec un degré plus ou moins grand de probabilité (JOURNET 1995:17).

De son côté, Jean POUILLON met en exergue la polysémie qu'il y a autour du verbe croire :

«Croire en», c'est avoir confiance ; «croire à», c'est affirmer une existence ; «croire que», c'est affirmer une chose d'une certaine façon, c'est faire une supposition (POUILLON 1993:25).

Pour que la définition ne soit ni trop restrictive («vrai ou véritable») ni trop englobante («possible»), nous retiendrons «réel» et «vraisemblable». Pour dépasser la simple «adhésion», n'impliquant pas l'individu, nous ajouterons la confiance, qui dépasse la certitude ou la simple probabilité d'existence.

Pour nous, «croire à un phénomène parapsychique» signifie «tenir ce phénomène pour réel ou vraisemblable» tout en tenant compte que cela implique la confiance dans les capacités humaines de le produire ou de le ressentir, tandis que «croire à une parascience» signifie «tenir pour réel ou vraisemblable les propositions d'une discipline», en sachant que cela implique une confiance dans la scientificité de cette discipline. [À suivre]

Bibliographie

Boudon, Raymond
1990 L'art de se persuader d'idées douteuses, fragiles ou fausses, Paris, Fayard
Boy, Daniel et Guy Michelat
1986 «Croyances aux parasciences : dimensions sociales et culturelles», Revue française de Sociologie XXVII, pp 175-204.
Broch, Henri
1985 Le Paranormal, Paris, Le Seuil, Coll. Science ouverte
Chevalier, Gérard
1986 «Parasciences et procédés de légitimation», Revue française de Sociologie, XXVII, pp205-219
Deloux, Jean-Pierre
1998 Almanach du paranormal, Paris, éditions méréal
Dierkens, Jean et Christine Dierkens
1978 Manuel expérimental de parapsychologie, Tournai, Coll. Synthèses contemporaines
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1976 L'occultisme, Paris, Coll. EDMA, Le livre de Poche
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1988 Pseudosciences and the Paranormal. A critical examination of the evidence, Buffalo (NY), Prometheus Books
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1996 Les phénomènes paranormaux, Toulouse, Ed. Milan
Michelat, Guy
1993 «Parasciences, sciences et religion», Le Débat n°75, août 1993
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Ouvrages cités par les auteurs

Amadou, Robert
1950 L'occultisme, esquisse d'un monde vivant, Paris, Ed. Julliard
Broughton R. S.
1995 Parapsychologie, une science controversée, Monaco, Ed. Le Rocher