Réponses aux sceptiques

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JE n’ai pas beaucoup d’amis qui croient à ce qu’il est convenu d’appeler le paranormal. Ils sont pourtant généralement étonnés que je me sois si longtemps investi dans un groupement de scientifiques désirant expérimenter les phénomènes réputés paranormaux, surtout quand ils apprennent que ces scientifiques n’y croient pas. À leur intention, et aux sceptiques ne comprenant pas pourquoi on peut s’intéresser à ces questions, j’ai préparé ce petit jeu de questions-réponses.

Douter de tout et tout croire, ce sont des positions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir.

Henri Poincaré, La Science et l’Hypothèse, Champs-Flammarion, 1968, p24 (1e éd. 1902)

Pourquoi vouloir démontrer que le paranormal n’est pas scientifique?

On pourrait plutôt se demander pourquoi les croyants au paranormal veulent absolument faire passer leurs croyances pour scientifiques. Dans Pour l’astrologie, réflexions d’une scientifique, Suzel Fuzeau-Braesch, Docteur d’État ès Science, biologiste, directeur honoraire au CNRS et auteur de plus de 150 publications scientifiques «plaide avec fougue pour que les tabous soient levés et que l’astrologie devienne un objet d’étude délivré des préjugés et, réciproquement, que les astrologues adoptent une attitude scientifique» (4° de couverture).

Ce jugement apparemment balancé ne doit pas cacher le fait que Suzel Fuzeau-Braesch est tout à fait favorable à l’astrologie et est l’auteur du «Que-Sais-Je?» sur l’astrologie. Le précédent, celui de l’astronome Paul Couderc, tout à fait défavorable, a été tout bonnement et simplement retiré de la vente.

La prétention à la scientificité des parasciences et de la parapsychologie est un fait grandissant. Mais on préfère une biologiste à un astronome quand il s’agit de disserter sur les pouvoirs des astres.

Mais qui croit encore au paranormal aujourd’hui?

Il faudrait expliquer pourquoi, si peu de personnes croient «encore» au paranormal, une émission comme Mystères (et d’autres) et une série culte comme X files ont eu un tel succès prolongé, et pourquoi l’édition autour du paranormal et des nouvelles spiritualités réalise 10% du chiffre d’affaire…

Une enquête de grande envergure sur la Belgique donnent les chiffres suivants («Croyez-vous un peu/tout à fait?»):

Phénomènes:BelgesFrancoph.
Réincarnation
Astrologie
Télépathie
Spiritisme
Voyance
Cartomancie
Envoûtement
Extra-terrestres
Possession
Fantômes
18%
33%
30%
20%
18%
16%
11%
11%
10%
6%
23%
39%
32%
26%
24%
21%
21%
18%
15%
10%

Delhez et Reszohazy, Il était une foi, Namur, Fidélité, Bruxelles, Racines, 1996, p85

…ce qui est loin d’être négligeable ! Pour la France, nous connaissons deux enquêtes réalisées à onze années d’intervalle:

Phénomènes19821993
Magnétisme
Télépathie
Psycho-astrologie
Rêves prémonitoires
Horoscopes
Voyance
Chiromancie
Possession
Tables tournantes
Fantômes
-
42%
36%
-  
23%
-  
-  
18%
13%
5%
45%
55%
46%
35%
29%
24%
23%
19%
16%
11%

Daniel Boy et Michelat, «Les Français et les parasciences» in L’état de l’opinion, Paris, Seuil, 1994, p203.

Loin d’être une survivance des superstitions d’autrefois, la croyance au paranormal est un phénomène de société bien contemporain et, semble-t-il, en croissance. On pourrait objecter que ce n’est pas la croyance qui est en progrès, mais la reconnaissance de la croyance. Il est possible que cela joue aussi, auquel cas on peut penser que la reconnaissance des parasciences se fait de façon plus facile.

N’est-ce pas une démarche dadaïste de vérifier la position de la planète Mars dans l’horoscope de naissance des sportifs de haut niveau ?

C’était le vœu d’un astrologue, Michel Gauquelin, qui pensait trouver Mars dans la première «maison» (juste après l'«ascendant») dans les horoscopes de naissance des sportifs de haut niveau. Vérifier une hypothèse implique souvent de s’astreindre à compter des milliers de petits pois jaunes ou verts, ridés ou lisses (Mendel), de répertorier et mesurer des (centaines de) milliers d’escargots (Stephen Jay Gould), etc.

Bien sûr qu’il est extrêmement improbable, selon ce qu’on connaît de la science aujourd’hui, qu’une planète aussi lointaine ait un quelconque effet physique (ondes électromagnétiques, radioactivité, gravité…) sur un sujet humain, et le marquant spécialement au moment de la naissance (alors que la terre a une probabilité assez grande (environ 0.5, soit le «pile ou face») d’être à ce moment entre la planète et l’individu).

Mais il est difficile d’écarter a priori une hypothèse. L’histoire des sciences nous enseigne que des idées acceptées aujourd’hui étaient perçues comme fantasques par d’autres. Descartes rejetait l’action à distance comme métaphysique : comment alors expliquer la gravitation ?

La science est une démarche qui dépasse le rationalisme où la raison prévaut. Dans cette démarche, les conclusions rationnelles sont testées par les expériences, qui renvoient des données qui doivent être traitées par la raison, etc.

Le combat contre la croyance au paranormal n’est-il pas un combat contre les libertés ?

La liberté de croire est garantie par la Constitution et par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Ceux qui veulent croire (envie, besoin…) croiront, envers et contre beaucoup de choses, dont les expériences scientifiquement menées qui ont toutes été négatives.

Mais la liberté d’expression est également garantie par la Constitution et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Nous avons donc le droit de dire aux croyants au paranormal qu’ils s’égarent et que cela peut leur être préjudiciable ou préjudiciable aux autres. Dans une affaire judiciaire, comment témoignerait votre voisin s’il était persuadé que vous êtes un envoyé du diable ?

Est-il nécessaire ou fructueux de tester les théories issues d’une démarche logothéorique ?

L’inspiration scientifique est multiple. Les idées peuvent venir d’une anomalie décelée par l’expérience, des conséquences d’un prolongement mathématique d’une loi qui a fait ses preuves, d’une expérience quotidienne, d’une intuition… Toutes ces sources d’inspiration doivent cependant faire l’objet d’expériences prouvant ou infirmant ces idées.

Une théorie paranormale vient souvent d’une idée qui n’avait au départ rien de non scientifique en soi (la position apparente du soleil a des influences sur les saisons, le climat ; la lune et le soleil provoquent les marées ? ; pourquoi les astres n’auraient-il pas d’influences sur les humains?). Le problème est que bien peu de croyants au paranormal ont mis leur hypothèse à l’épreuve de l’expérimentation : la construction théorique et son énoncé suffisent pour preuve. C’est ce qu’on appelle une démarche logothéorique. La science a commencé à évoluer rapidement depuis la fin du moyen âge, lorsqu’on a commencé à recommander de tout expérimenter (premier principe de Guillaume d’Occam).

Il est évident que ce sont les questions posées par les théories ou les anomalies issues des expériences qui sont les plus fécondes et qu’il faudrait tout d’abord tester. Mais on ne peut jamais exclure a priori qu’une idée apparemment farfelue puisse produire quelque vérité. Il y a néanmoins des limites, mais que faire si 65% de la population réclament une étude à grande échelle sur la relation entre le signe astrologique et certaines maladies ?

La science n’est-elle pas une sorte de croyance?

Contrairement à certains courants à la mode, il est possible de répondre qu’il y a une grande différence entre une science et les croyances. Prenons quelques manières différentes de prévoir le temps qu’il fera demain. Un météorologiste s’en référera à des photos-satellites, aux relevés de températures, de vitesses du vent et de pressions atmosphériques, le jardinier au vol des hirondelles ou à la couleur du ciel, un radiesthésiste à son pendule, un autre, qui sait, au jeu du «pile ou face». Il se pourrait toujours que le météorologiste se trompe, et que la pièce de monnaie, voire le pendule, ait «raison». Ce qui ne remettrait en cause la science météorologique que si statistiquement, le hasard, le pendule ou la tradition avaient de meilleurs résultats.

À entendre les défenseurs du paranormal, il n’y aurait que les sciences qui se trompent. Ils ont en partie raison : il n’y a que les sciences qui admettent de se tromper. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’elles progressent.

Le paranormal, lui, ne se remet jamais en cause. Il évolue au gré des modes, mais sans jamais progresser. Par exemple, l’astrologie est devenue karmique, c’est-à-dire qu’elle a intégré cette mode du bouddhisme, mais comme toujours en se basant sur des suppositions et hypothèses qui ne seront jamais vérifiées.

Un exemple d’hypothèse qui n’est jamais devenue scientifique est la phrénologie. Les expériences entreprises ne sont jamais parvenues à trouver de corrélation entre les bosses du crâne et la criminalité ou la personnalité. Les tenants de cette discipline n’ayant jamais reconnu leurs erreurs, on peut maintenant la considérer comme parascientifique, paranormale.

C’est donc en se trompant et en reconnaissant ses erreurs (qui a jamais pensé et dit qu’elle était infaillible?), que la science peut se corriger et évoluer. Et la méthode qu’une discipline utilise fait que c’est sa démarche, au moins autant que ses résultats, qui la rend scientifique.

La science connaît aussi ses limites, au contraire du paranormal pour lequel tout semble toujours possible, ce qui doit attirer les personnes en quête d’absolu.

De ce fait, les raisons de croire ou ne pas croire en des faits paranormaux n’ont pas la même signification. Le fait d’être sceptique ou non à l’égard des sciences sont des réalités différentes.

Accorder une confiance critique à la science et être sceptique au paranormal est donc moins intéressant sociologiquement qu’accorder foi à des phénomènes paranormaux ou être sceptique face à la science. Par exemple, le refus de l’héliocentrisme est plus intéressant au niveau des valeurs (refus de dépasser l’expérience quotidienne, «bon sens», tradition biblique…) que de sa reconnaissance. Et ce qui est assez intéressant, c’est que le discours postmoderne ou relativiste tend à être assez bienveillant à certaines de ces croyances.

Quel est l’intérêt d’expérimenter des choses qui ont si peu de probabilité d’être réelles?

Refaire des expériences ou établir des protocoles d’expérimentation pour vérifier des assertions a un intérêt pédagogique. Il s’agit en quelque sorte d’une mission d’éducation permanente. D’autre part, si seuls les convaincus prennent la parole pour exprimer leur vérité, seule une vérité a été entendue. Et l’on sait l’influence des médias populaires qui font la part belle au paranormal.

D’autre part, il ne peut être certain a priori que toute l’astrologie soit fausse (j’insiste sur la conjonction de a priori et toute) ; penser ainsi serait faire preuve d’une belle assurance ou de dogmatisme. Il se pourrait (bien que cela me paraisse hautement improbable) qu’il y ait certains déterminismes récurrents, mais pour des raisons bien différentes que celles invoquées par les astrologues, comme par exemple le rythme des saisons, des éruptions solaires ayant une influence sur le rayonnement (tout à fait physique, celui-là) reçu par la terre.

Enfin, en s’intéressant aux «savoirs aux limites (ou au-delà) de la science», notre connaissance sur ce qui fait la spécificité des sciences peut progresser. Et comme les scientifiques ne sont pas toujours à l’abri des tentations magiques, la connaissance des parasciences peuvent empêcher que ne soient pris pour scientifiques des délires séduisants.

Ne vaudrait-il pas mieux s’intéresser aux raisons socio-anthropologiques, philosophiques, psychologiques… qui président aux croyances?

C’est plus qu’évident : le discours paranormal, se riant de la logique et croyant au mépris de la réalité, est probablement au cœur des valeurs qu’il défend envers et contre tout. Cet esprit qui accepte et encourage même les contradictions prétend parfois tout aussi bien que «La science est trop limitée pour parler du paranormal» mais qu’«Il est (scientifiquement) prouvé que…» et offre la possibilité de voir les valeurs que ces deux discours supposent.

Le livre Il était une foi, qui est un état des lieux commenté de la foi en Belgique, énonce les chiffres suivants:

PhénomènesPratiquantsn-Pratiq.n-Croyants
Réincarnation
Possession
Envoûtement
Télépathie
Astrologie
Voyance
Spiritisme
Cartomancie
Fantômes
Extra-terrestres
33
17
14
24
30
17
18
12
5
13
28
18
27
38
45
29
28
24
12
18
12
10
15
27
36
21
27
21
10
24

Delhez et Reszohazy, Il était une foi, Namur, Fidélité, Bruxelles, Racines, 1996, p82

Seule la réincarnation est davantage crue par les catholiques pratiquants, et la croyance aux extra-terrestres par les non croyants. Pour le reste, à part la croyance à la possession et au spiritisme, les catholiques non pratiquants sont toujours les plus croyants, suivis des non croyants, les pratiquants venant en dernière position.

Si on peut imaginer que les catholiques pratiquants sont d’une certaine manière immunisés contre les croyances aux phénomènes paranormaux, contraires aux dogmes, les catholiques non pratiquants y croient nettement plus (sauf dans la croyance aux extraterrestres) que les non croyants. Mais la croyance en la réincarnation a plus les faveurs des catholiques pratiquants que des autres, alors qu’elle va directement à l’encontre de la foi en la résurrection des morts au Jugement Dernier, article de foi des plus importants de la religion chrétienne.

La croyance aux extra-terrestres des non croyants pourraient résulter d'une sotériologie laïcisée (l'attente de sauveurs en chair et en os – il s'agit d'une prospective, pas d'une conclusion et ce dans la mesure d'une attente confiante : Rencontre du troisième type plutôt que La guerre des mondes). Non immunisés par une Église qui se méfie de la magie, les catholiques «sociologiques» sont les plus croyants au paranormal, peut-être parce que les plus demandeurs de croyances paranormales nourries par les valeurs de la religion traditionnelle occidentale, dont la supériorité de l’esprit sur la matière est certainement centrale.