Pauvre ReTeBeuF

LA Première, radio généraliste de la Radio Télévision Belge Francophone, semble être un bon indicateur des modes de pensées consensuelles. Voyons ce qu'elle a à nous apprendre sur le prêt-à-penser…

Ces critiques proviennent d'une écoute journalière de cette chaîne, certaines émissions étant excellentes. Ne ratez pas Transversales (samedi de 12-13h), qui propose des reportages en tout genres.

Avertissement

2004.01.29, 17h10 - À l'occasion du lancement de la nouvelle formule de la RTBF, son directeur de l'information a affirmé que «L'émotion peut être une information». Ceci expliquera peut-être ce qui suit…

Un exemple

En programmant le 13 décembre 2006 l'actualité-fiction sur l'indépendance de la Flandre, la télévision publique francophone a montré qu'il était possible d'être en même temps cynique, lâche et idiot.

À noter que le commentaire qui résume le mieux l'affaire nous est arrivé d'une émission radiophonique de divertissement: «(…) dans notre société, ce qui est problématique, c'est que l'émotion semble avoir raison, et la raison semble avoir tort» (Jean-Jacques Jespers, La Semaine infernale, samedi 23.12.2006, 11h15).


America (pour mémoire)

2004.03.17 - L'émission America (les lundis de 20-22h) était une émission qui parlait des musiques populaires nord-américaines, sans en négliger les aspects historiques et sociaux. Elle n'a pas passé le printemps… Il faut croire qu'elle était trop intellectuelle, ou qu'elle faisait tache, dans l'anti-américanisme primaire ambiant… Ou simplement qu'elle proposait autre chose que de la matière consensuelle, celle qui raccole l'auditeur?

Quand les jeunes s'en mêlent…

2004.05.29, 15-17h - Invitation d'un jeune issu d'un boy's band, qui a sombré dans l'alcool et qui en est ressorti «grâce à Dieu». Il ne faudrait pas empêcher les croyants d'exprimer leurs fois, mais le présentateur aurait pu s'abstenir d'insister de parler d'un «Dieu pas à la mode», le coming-out religieux étant actuellement justement fortement à la mode.

2004.07.17 - La rediffusion d'une émission sur la justice entrecoupée d'extraits de films anglo-saxons, c'est déjà un peu confus (avez-vous déjà entendu «Objection, votre Honneur!» dans un tribunal belge?). Mais on avait invité cette fois-ci, pour expliquer que le droit ne se limitait pas au judiciaire, un médecin représentant l'Ordre des Médecins («droit» corporatiste concédé par l'État), et, c'est nouveau et à la mode, un curé, pour parler des tribunaux internes à l'Église catholique (qui, espérons-le, ne concernent que l'Église). Ce prêtre s'est néanmoins permis de rappeler qu'il n'y avait pas que des curés parmi les pédophiles mais aussi des pères et des pasteurs (cela en rassurera peut-être certains), et de répondre à une question… sur la charia.

La quatrième dimension

2004.07.18 - Ding-ding-dong. S'agit-il de l'émission concédée «Orthodoxie», ce dimanche après les infos de 13h? Pas du tout, c'est l'indicatif de «La 4e dimension», émission qui parle de la nature, du retour aux valeurs humaines, des petits conflits entre voisins, des cowboys et des Indiens… «La quatrième dimension». Série de courts métrages de l'étrange venus des États-Unis dans les années '50, ce concept est actuellement récupéré par la doctrine du nouvel âge, sorte de limbes entre deux réincarnations, ce qui expliquerait mieux les cloches peut-être tibétaines qui servent d'indicatif à l'émission.

L'été, elle fait place au «Bar de l'Estacade», émission poétique de chansons et d'extraits de film empreints de nostalgie rock. Sur une demi-heure, on aura entendu parler de Ray Charles qui a introduit le negro spiritual et des versets de la bible dans sa musique populaire, du mariage de deux habitués du bar, et d'un sacristain qui s'étonnait d'un attroupement de motos… Cette petite communauté fantasmée est aussi instructive sur la glorification du voisinage et du particulier que l'émission «quatrième dimension».

Face à l'info

2004.08.02, 18h. Interview de Pierre-Yves Albrecht, auteur de «Au coeur des zaouïas: rencontre avec des soufis guérisseurs».

Comme tout discours magique, le propos était un florilège de témoignages gratuits: les maladies étiquetées par la médecine moderne ne seraient que des problèmes de sens, sens qu'on ne trouve réellement que dans les religions, maladies qu'on (ne) peut guérir (que) par des rites nécessairement ancestraux. Dans cette nostalgie anti-moderne, P-Y Albrecht se prend à rêver à cette société qui initie ses enfants en les perdant dans le désert.

La quantité n'intéressant que la science, paraît-il, qui d'ailleurs ne s'intéresserait qu'à ça, on ne connaîtra rien du nombre (ou pourcentage) de guérisons, ni leur durée. Par contre (évidemment) la science ne parvient pas à les expliquer. Discours maintes fois entendu, ce qui n'empêche pas l'interviewer de qualifier ces propos de «pistes très peu battues» (est-ce la langue de coton pour dire: «Ces propos n'engage que vous» mais qui donneront néanmoins un brevet d'originalité…?), et de concéder que le monde est peut-être trop rationnel… À se demander ce qu'on peut entendre par «rationnel»…

Ce n'est pas la rationalité qui provoque l'effet de serre, anime un converti va-t-en-guerre, prépare les attentats aveugles, ou pille le Tiers-Monde… Il faut déjà avoir une pauvre idée de la rationalité pour la confondre avec stratégie, vision étriquée et égoïsme. Souscrire à l'idée que notre monde est trop rationnel, c'est s'exposer à ce que les nouveaux prédicateurs réinventent la guerre sainte. L'argument «Vous êtes trop rationnel» devient une manière pratique de censurer toute contestation, toute critique devient impossible et le monde est à la merci des démagogues.

2004.08.10, 18h Était-il nécessaire d'inviter Nadine de Rotschild et son discours du XIXe dans cette émission de débat? Est-il nécessaire, afin que toutes les opinions aient voix au chapitre, d'inviter cette dame qui promeut la soumission totale de la femme à l'homme au sein du couple? L'homme serait fait pour briller, et la femme pour le seconder dans l'ombre. Pour cela, la femme doit par exemple se convertir à la religion de son mari, se faire accepter par la belle-famille et toujours consentir. Ce qui n'aurait jamais empêché Mme de Rotschild de faire ce dont elle avait envie. Nous en sommes heureux pour elle.

Et que le bon peuple se rassure: «Il est tout à fait possible d'être heureux quand on n'a pas de fortune.» Nous supposerons qu'elle parle d'expérience…

Parlez-moi d'amour… (samedis de 20 à 24h)

S'il est bien entendu que la sexualité est source de plaisir et de partage, et que notre passé récent est encore fortement influencé par le puritanisme du XIXe, on peut s'interroger sur l'utilité de l'émission Parlez-moi d'amour.

À priori la formule est sympathique: deux heures de discussion avec des professionels de la question (psychologues et sociologues pour la plupart, parfois des biologistes…) sur un sujet particulier, puis une heure de lectures d'histoires légèrement coquines, pour terminer avec l'interview de «l'amant-e de minuit», une personnalité du monde de la littérature.

Seulement voilà, il y a déjà un gloussement féminin idiot dans le générique, comme si sensualité féminine rimait avec infantilisme. Dans la même optique «cliché», les pages «coquines» parlent d'introduction de bec verseur de théière bouillant dans un vagin, ce qui ne peut manquer de provoquer finalement un grand orgasme chez la victime en définitive consentante. Pas vraiment neuf, cet érotisme SM où l'on viole les femmes pour leur bien.

22.10.2005, 22h Cette émission n'est pas vraiment conséquente. Le contre-pied systématique d'une morale «judéo-chrétienne», aussi rigide soit-elle, peut amener à de sordides contradictions, lorsque deux heures passées à discuter du terrible drame de l'inceste est suivie d'une lecture érotique qui raconte le dépucelage d'un jeune homme par sa tante.

2006.06.10, 20-22h. Une réunion «Tupperware» sur les ondes d'une radio de service public? À condition qu'il s'agisse de sexe: des détaillantes en sex-toys ont été invitées à faire étalage de leurs stocks, avec numéros de téléphone donnés sur antenne.

2009 - Bien que réduite, l'émission continue, avec la prononciation systématique «péni» et «clitori», comme si la culture de la présentatrice était uniquement livresque, les «s» finales ne se prononçant généralement pas.

Le jeu des dictionnaires

2004.09.06-09 Invitation du dessinateur François Boucq pour son album «Échec à la Gestapo».

Il nous a gratifié, au fil des jours, des professions de foi à la mode : «Nous avons à l'intérieur un dictateur qui s'appelle rationalité», «Nous avons tout en nous, mais l'éducation, la société…» (qu'on lui a demandé de développer, en vain), et d'autres doctes fables sur la nécessité d'abandonner le mental pour ne pas tomber quand on court la nuit…

Personne dans l'équipe pour lui rappeler que les périodes où l'on dénigre la rationalité, la société, la culture ou l'intellect soient justement propices aux dictatures et autres évangélisations…

La publicité

2004.09.10. On peut aimer, admettre, regretter ou haïr la publicité, mais il est inadmissible qu'elle interrompe trois fois de suite (vers 18h22, 18h30 et 18h38) les informations et le «Club de la presse». Il semble alors qu'il soit impossible de l'arrêter, la machine n'étant manifestement pas prévue pour être contrôlée.

Journal parlé

2004.11.01, 17h. Interview d'un fossoyeur qui verse une larme en annonçant sa retraite.

- Pardonnez-moi, c'est l'émotion…
- Vous êtes ému? Qu'est-ce que vous ressentez?

C'était un rappel: «L'émotion peut être une information.»

2007.09.15-16. À plusieurs reprises, il a été question des tribulations du touriste Stefaan Boeve en Iran, finalement «remis à ses parents». Étrange perspective: s'agissait-il d'une libération ou d'un transfert de prisonnier, voire d'une récupération d'un mineur en fugue? Il semble qu'elle trahisse plutôt une focalisation sur l'émotion, la plupart des auditeurs s'identifiant davantage aux parents angoissés qu'à un touriste pris en otage…

Les excuses de la Direction

2005.01.26 et 31. C'est toujours étonnant d'entendre un journaliste s'excuser pour la mauvaise qualité d'une connexion avec un correspondant de guerre. C'est ridicule lorsque le journaliste gréviste annonce que sa direction s'excuse pour les désagréments que la grève occasionne, «tout à fait indépendants de sa volonté». Évidemment: quel chef d'entreprise admettra jamais être responsable, ne serait-ce qu'un peu, d'un conflit social?

Le monde est un village

2004.11.01, 18h. En ce jour de Toussaint, le sympathique animateur ne s'est plus senti. Après l'inévitable référence au soufisme (il y en a eu deux cette fois-ci, on finira par croire qu'il est initié), une prière sud-américaine, un négro-spiritual oriental (ce qui pourrait s'être passé d'un point de vue musical si les Africains avaient été déportés à l'est), et d'autres appels à dieu ou alleluïa en patois valaisan… On apprend en milieu d'émission qu'il s'agit d'un «spécial spiritualité», mais c'est souvent pareil dans chaque émission.

2006.01.06, 18h00. À nouveau le «spécial spiritualité», ou plutôt le spécial ritualité, avec les deux morceaux soufis, le patois valaisan, la prière sud-américaine et le east side story. Cela semble en fait la bande passée 14 mois plus tôt, ce qui n'a pas pourtant pas été spécifié.

2007.09.12, 18h00. Encore une poussée de fièvre de la part de l'animateur, qui nous propose à nouveau une émission de musique religieuse et spirituelle (l'homme confond a priori les deux) parce que «De tous temps, les hommes ont invoqué un être supérieur, ont prié, se sont adressés au ciel.» C'est une affirmation gratuite, fortement tendancieuse, qui reflète davantage la foi de l'animateur qu'une réalité.

Par ailleurs, au-delà de ce généreux nom d'émission, il ne faudrait pas oublier que si notre monde est un village, seuls les habitants d'une rive ont le droit et la possibilité de traverser la rivière quand bon leur semble et ainsi visiter l'entièreté du village… Doux rêveur, va!