La déclaration de Durban à propos du SIDA

LE site officiel ayant fermé et le nom ayant été récupéré par des vendeurs de pilules, voici une copie de la réaction des quelques 5000 scientifiques face aux prises de positions fantaisistes (parfois issues de gouvernements des pays les plus touchés, le sentiment d'impuissance menant souvent à la politique de l'autruche) au sujet de la provenance du SIDA. Il a paru dans Nature le 6 juin 2000.

Dix-sept ans après la découverte du virus de l'immunodéficience humaine (VIH), des milliers de personnes venues de toutes les régions du monde sont réunies à Durban, en Afrique du Sud, dans le cadre de la XIIIe conférence internationale sur le sida. Au tournant du millénaire, on estime que 34,3 millions de personnes vivent avec le VIH ou le sida, dont 24,5 millions en Afrique subsaharienne [1]. L'année dernière, 2,8 millions de personnes sont décédées du sida, soit le nombre le plus élevé depuis le début de l'épidémie. Si les tendances actuelles perdurent, l'Asie du Sud et du Sud-Est, l'Amérique du Sud et les régions de l'ancienne Union soviétique seront aussi durement frappées au cours des deux prochaines décennies.

Le sida se propage par l'entremise d'une infection, à l'instar d'autres maladies, notamment, la tuberculose et la malaria, qui entraînent des maladies et des décès, particulièrement dans les collectivités peu favorisées et pauvres. Le VIH-1, qui est responsable de la pandémie de sida, est un rétrovirus étroitement lié à un virus de l'immunodéficience simienne (VIS) qui infecte les chimpanzés. Le VIH-2, un virus commun en Afrique de l'Ouest qui s'est propagé en Europe et en Inde, est presque identique à un VIS qui infecte les mangabeys. Bien que le VIH-1 et le VIH-2 aient fait leur apparition sous forme de zoonoses [2] – infections qui se transmettent des animaux aux humains – ces deux virus se transmettent maintenant d'une personne à l'autre lors des relations sexuelles; d'une mère à son enfant; et par l'entremise du sang contaminé.

Le VIH n'est pas la seule infection de source animale. La peste a été transmise par les rats et la grippe par les oiseaux. Le nouveau virus Nipah qui sévit en Asie du Sud-Ouest a été transmis aux humains par les porcs. La variante de la maladie Creutzfeldt-Jakob aux Etats-Unis est identique à la maladie de la vache folle. Une fois établi chez les humains, le VIH s'est conformé aux habitudes et aux mouvements humains. A l'instar de nombreux autres virus, le VIH ne reconnaît aucune frontière sociale, politique ni géographique.

La preuve que le sida est causé par le VIH-1 ou le VIH-2 est claire, exhaustive et non équivoque, et elle est conforme aux critères scientifiques les plus rigoureux [3-7]. Les données respectent les mêmes critères que celles portant sur d'autres maladies virales, notamment, la poliomyélite, la rougeole et la variole :

Des données complémentaires probantes sont disponibles [4]. Le VIH provoque le sida [5]. Il est malheureux que quelques personnes continuent bruyamment à nier l'évidence. Cette position entraînera le décès d'un nombre incalculable de personnes.

Les tendances de la propagation et des symptômes du VIH/sida varient selon les régions. En Afrique, par exemple, les personnes infectées par le VIH ont onze fois plus de chances de mourir en cinq ans [7] et au-delà de cent fois plus de chances de contracter le sarcome de Kaposi, un cancer associé à un autre virus [11].

Comme c'est le cas pour les autres infections chroniques, divers facteurs ont une incidence sur le risque de maladie. Les personnes mal nourries, déjà atteintes d'une infection ou plus âgées sont plus susceptibles de contracter rapidement le sida à la suite de l'infection par le VIH. Cependant, aucun de ces facteurs ne diminue la portée des preuves scientifiques: le VIH est la seule cause de l'épidémie de sida.

Etant donné l'urgence de la situation globale, l'infection par le VIH doit constituer la plus grande priorité en matière de santé publique à l'échelle internationale. Les connaissances et les outils nécessaires à la prévention de l'infection sont disponibles. La monogamie mutuelle, l'abstinence ou l'usage des préservatifs interrompent la transmission sexuelle du VIH. Les tests de dépistage des produits sanguins et la non-réutilisation des aiguilles freinent la transmission par le sang. Enfin, les traitements à court terme à l'aide d'antiviraux diminuent de moitié ou plus la transmission mère-enfant [12,13].

Les ressources limitées et le fardeau énorme de la pauvreté dans de nombreuses régions du monde posent des enjeux énormes au regard du contrôle de l'infection par le VIH. On peut traiter les personnes déjà infectées à l'aide de médicaments salutaires, mais le coût élevé de ces traitements empêche la majorité des gens de s'en prévaloir. Il faut mettre au point des nouveaux médicaments antiviraux qui sont plus faciles à prendre, causent moins d'effets indésirables et coûtent beaucoup moins cher, pour que des millions de personnes puissent en bénéficier.

Il y a de nombreuses façons de communiquer les renseignements essentiels à propos du VIH/sida, et les méthodes appropriées à un pays ne sont pas nécessairement utiles dans un autre. Mais pour s'attaquer à la maladie, il faut d'abord comprendre que le VIH est l'ennemi. Les recherches, et non les mythes, mèneront à l'élaboration de traitements plus efficaces et moins chers et, espérons-le, à la mise au point d'un vaccin. Mais pour l'instant, il faut s'attacher à prévenir la transmission sexuelle.

La fin de la pandémie de sida n'est pas en vue. Mais en unissant nos efforts, nous pourrons renverser la tendance. La science triomphera un jour du sida comme elle l'a fait pour la variole. La première étape sera d'interrompre la transmission du VIH. Jusque-là, la raison, la solidarité, la volonté politique et le courage doivent être nos partenaires.

Références

  1. ONUSIDA, Rapport de l'épidémie mondiale de l'infection à HIV/SIDA. Décembre 1999.
  2. Hahn, B. H., Shaw, G. M., De Cock, K. M., Sharp, P. M. (2000) «AIDS as a zoonosis: scientific and public health implications», Science, 287, 607-614.
  3. Weiss R.A et Jaffe, H.W. (1990) «Duesberg, HIV and AIDS», Nature, 345, 659-660.
  4. NIAID (1996) HIV as the cause of AIDS. Lien cassé, voyez (même site) : HIV and AIDS : The Basics (english)
  5. O'Brien, S.J. et Goedert, J.J. (1996) «HIV causes AIDS: Koch's postulates fulfilled», Current Opinion in Immunology, 8, 613-618.
  6. Darby, S.C. et al., (1995) «Mortality before and after HIV infection in the complete UK population of haemophiliacs», Nature, 377, 79-82.
  7. Nunn, A.J. et al., (1997) «Mortality associated with HIV-1 infection over five years in a rural Ugandan population: cohort study», BMJ, 315, 767-771.
  8. Sperling, R. S. et al., (1996) «Maternal viral load, zidovudine treatment, and the risk of transmission of human immunodeficiency virus type 1 from mother to infant», N. Engl. J. Med. 335, 1678-80.
  9. Centers for Disease Control and Prevention (CDC). HIV/AIDS Surveillance Report 1999; 11, 1-44.
  10. Liska, V. et al., (1999) «Viremia and AIDS in rhesus macaques after intramuscular inoculation of plasmid DNA encoding full-length SIVmac239», AIDS Research & Human Retroviruses, 15, 445-450.
  11. Sitas, F. et al., (1999) «Antibodies against human herpesvirus 8 in black South African patients with cancer», N. Engl. J. Med., 340, 1863-1871.
  12. Shaffer, N. et al., (1999) «Short course zidovudine for perinatal HIV-1 transmission in Bangkok Thailand: a randomised controlled trial», Lancet, 353, 773-780.
  13. Guay, L. A. et al., (1999) «Intrapartum and neonatal single-dose nevirapine compared with zidovudin for prevention of mother-to-child transmission of HIV-1 in Kampala, Uganda: HIVNET 012 randomised trial», Lancet, 354, 795-802.